mardi 5 juin 2007
Mardi 04 juin, 11h30:Un aparté ,de plus de deux heures , en quelques mots;)
Une intuition, ce n’est pas grand chose. De l’ineffable en suspension. Mais ça suffit parfois à engager une vie...
la valeur de l'intelligence vécue comme un service et non comme un gargarisme.
A force de vouloir écrire, on a cessé d'agir.Terrible constat.
Soupir, parce que la VIE,cette réalité tellement ténue ce n'est pas du jeu de mot ni du gargarisme intellectuel pour natures narcissiques.
En traitant de Thermidor, un historien disait qu'on ne pouvait pas s'exempter d'étudier des évènements historiques sous prétexte qu'ils suscitent de la répugnance. C'est dans cet état d'esprit que nous allons devoir aborder maintenant le milieu select et huppé de cette caste d'individus qui se définissent eux mêmes comme des “intellectuels”. Nous y sommes forcés parce qu'ils sont les meilleurs représentants de l'idéologie dominante.
Si vous pensez naïvement que quiconque utilise son cerveau fait un travail intellectuel, jetez vos illusions aux oubliettes ! De nos jours, n'est pas intellectuel qui veut et tout le monde n'est pas autorisé à le faire savoir. Pour reprendre Coluche, il y a les milieux autorisés à penser et les autres ...De même qu'il y a des maçons, des ingénieurs, des électriciens, ou des instituteurs, il existe dans nos contrées des gens qui s'affichent très sérieusement sous le titre “d'intellectuels”, et croyez le ou non, ça ne fait rire personne ...
Mais d'abord, où trouver un intellectuel ? si vous en manquez dans votre entourage (peu probable toutefois au regard du nombre de névrotiques de la masturbation intellectuelle), allumez simplement la télé : vous aurez huit chances sur dix de tomber sur l'intellectuel en poste ce jour là, de ces intellos qui écument les plateaux télé et sont toujours disposés à faire étalage de leurs inépuisables ressources en solidarité et humanitarisme ,surtout lorsqu'il s'agit des ressources des autres.
Observez le bien alors votre “intellectuel multimédia du jour”, calé dans un fauteuil gagné à la sueur de sa langue, péter en direct sa dernière pensée creuse ou bien, la bouche pleine de solidarité, roter d'un air pensif le dernier renvoi d'humanitarisme gazeux qui lui titille le diaphragme : “Mr Bidule, vous êtes donc un intellectuel ...” lancera le présentateur homologué sur un ton compassé. Et l'autre, torse droit, yeux levés, air inspiré et sourcil en arrêt “voui” (qu'y répondra du bout des lèvres) et d'enchaîner en logorrhée mots creux, idéaux en soldes et vide pneumatique ...tout en songeant in pectore qu'il doit aller faire pisser son chien en rentrant le soir.
Entre deux renvois, l'intellectuel multimédia humanitaire (hum) et solidaire (hum hum ...) appellera avec passion à la mobilisation sur les grandes valeurs qu'il aura prises en bains de bouche dès le matin (contre ses aphtes) et d'un gargarisme à l'autre crachera en passant le laïus réglementaire sur la petite bourgeoisie prévu dans son script communicationnel. Petit florilège :
“Il est temps que notre mouvement abandonne ses positions petites-bourgeoises” : attention : la position de la bouche doit exprimer le mépris dans le jeu d'acteur ;
“Cette frilosité petite-bourgeoise est la marque d'un esprit rétrograde” : ici rehausser le mouvement de la bouche d'un ton professoral un peu marqué et décorer le discours de quelques mots kitsch comme “créatif”, “innovant” ou “imaginatif” ;
“Quelle absurde petite mentalité petite-bourgeoise”. Alors là c'est le KO final, mouvement de la bouche + ton professoral solennel + deux fois l'adjectif petit en marquant bien les explosives SVP : l'intellectuel humanitaire et solidaire vient de donner ce qu'il a de meilleur.
Ah Coluche et Guareschi comme vous nous manquez pour tirer le portrait à ces gens qui prétendent sans rire penser à notre place !
Ce qui me fait penser à une petite phrase de R.Barthes(puisse t -on encore affirmer qu'il eut de "petites" phrases!)au sujet des Intellectuels : "ils sont plutôt le déchet de la société, le déchet au sens strict, c'est-à-dire ce qui ne sert à rien, à moins qu'on ne les récupère"
Roland Barthes (1915 - 1980) - Le grain de la voix - Entretiens 1962-1980.
Soupir, parce que la VIE,cette réalité tellement ténue ce n'est pas du jeu de mot ni du gargarisme intellectuel pour natures narcissiques.
En traitant de Thermidor, un historien disait qu'on ne pouvait pas s'exempter d'étudier des évènements historiques sous prétexte qu'ils suscitent de la répugnance. C'est dans cet état d'esprit que nous allons devoir aborder maintenant le milieu select et huppé de cette caste d'individus qui se définissent eux mêmes comme des “intellectuels”. Nous y sommes forcés parce qu'ils sont les meilleurs représentants de l'idéologie dominante.
Si vous pensez naïvement que quiconque utilise son cerveau fait un travail intellectuel, jetez vos illusions aux oubliettes ! De nos jours, n'est pas intellectuel qui veut et tout le monde n'est pas autorisé à le faire savoir. Pour reprendre Coluche, il y a les milieux autorisés à penser et les autres ...De même qu'il y a des maçons, des ingénieurs, des électriciens, ou des instituteurs, il existe dans nos contrées des gens qui s'affichent très sérieusement sous le titre “d'intellectuels”, et croyez le ou non, ça ne fait rire personne ...
Mais d'abord, où trouver un intellectuel ? si vous en manquez dans votre entourage (peu probable toutefois au regard du nombre de névrotiques de la masturbation intellectuelle), allumez simplement la télé : vous aurez huit chances sur dix de tomber sur l'intellectuel en poste ce jour là, de ces intellos qui écument les plateaux télé et sont toujours disposés à faire étalage de leurs inépuisables ressources en solidarité et humanitarisme ,surtout lorsqu'il s'agit des ressources des autres.
Observez le bien alors votre “intellectuel multimédia du jour”, calé dans un fauteuil gagné à la sueur de sa langue, péter en direct sa dernière pensée creuse ou bien, la bouche pleine de solidarité, roter d'un air pensif le dernier renvoi d'humanitarisme gazeux qui lui titille le diaphragme : “Mr Bidule, vous êtes donc un intellectuel ...” lancera le présentateur homologué sur un ton compassé. Et l'autre, torse droit, yeux levés, air inspiré et sourcil en arrêt “voui” (qu'y répondra du bout des lèvres) et d'enchaîner en logorrhée mots creux, idéaux en soldes et vide pneumatique ...tout en songeant in pectore qu'il doit aller faire pisser son chien en rentrant le soir.
Entre deux renvois, l'intellectuel multimédia humanitaire (hum) et solidaire (hum hum ...) appellera avec passion à la mobilisation sur les grandes valeurs qu'il aura prises en bains de bouche dès le matin (contre ses aphtes) et d'un gargarisme à l'autre crachera en passant le laïus réglementaire sur la petite bourgeoisie prévu dans son script communicationnel. Petit florilège :
“Il est temps que notre mouvement abandonne ses positions petites-bourgeoises” : attention : la position de la bouche doit exprimer le mépris dans le jeu d'acteur ;
“Cette frilosité petite-bourgeoise est la marque d'un esprit rétrograde” : ici rehausser le mouvement de la bouche d'un ton professoral un peu marqué et décorer le discours de quelques mots kitsch comme “créatif”, “innovant” ou “imaginatif” ;
“Quelle absurde petite mentalité petite-bourgeoise”. Alors là c'est le KO final, mouvement de la bouche + ton professoral solennel + deux fois l'adjectif petit en marquant bien les explosives SVP : l'intellectuel humanitaire et solidaire vient de donner ce qu'il a de meilleur.
Ah Coluche et Guareschi comme vous nous manquez pour tirer le portrait à ces gens qui prétendent sans rire penser à notre place !
Ce qui me fait penser à une petite phrase de R.Barthes(puisse t -on encore affirmer qu'il eut de "petites" phrases!)au sujet des Intellectuels : "ils sont plutôt le déchet de la société, le déchet au sens strict, c'est-à-dire ce qui ne sert à rien, à moins qu'on ne les récupère"
Roland Barthes (1915 - 1980) - Le grain de la voix - Entretiens 1962-1980.
dimanche 3 juin 2007
Mozart était un pirate?
Le Miserere d’Allegri était jalousement gardé par la maîtrise de la chapelle Sixtine à Rome. Pour s’en assurer l’exclusivité, le pape Urbain VIII et ses successeurs avaient interdit la copie et réservé l’exécution à la seule enceinte de la chapelle Sixtine. Les partitions de la messe demeuraient secrètes et quiconque parmi les auditeurs était surpris à prendre des notes était expulsé de la chapelle.
À l’âge de 14 ans, Mozart fit un voyage en Italie. Le 11 avril 1770, Mozart et son père assistèrent à la chapelle Sixtine au célèbre Miserere d’Allegri. Après cette unique audition, Wolfgang rentra chez lui et reproduisit les neufs voix du Misere sur partition qui depuis a fait le tour du monde. L’oeuvre entière était gravée dans sa prodigieuse mémoire après une seule écoute !
Grâce à Mozart, cette oeuvre merveilleuse est enfin passée dans le domaine public pour nous parvenir aujourd’hui.
Dand le contexte legislatif qui se met en place aujourd’hui pour contrôler le libre échange sur le net, un tel exploit vaudrait au jeune prodige d’être arrêté pour « copie illicite » et « diffusion sans autorisation d’une oeuvre protégée ».
A bon entendeur, musique !
À l’âge de 14 ans, Mozart fit un voyage en Italie. Le 11 avril 1770, Mozart et son père assistèrent à la chapelle Sixtine au célèbre Miserere d’Allegri. Après cette unique audition, Wolfgang rentra chez lui et reproduisit les neufs voix du Misere sur partition qui depuis a fait le tour du monde. L’oeuvre entière était gravée dans sa prodigieuse mémoire après une seule écoute !
Grâce à Mozart, cette oeuvre merveilleuse est enfin passée dans le domaine public pour nous parvenir aujourd’hui.
Dand le contexte legislatif qui se met en place aujourd’hui pour contrôler le libre échange sur le net, un tel exploit vaudrait au jeune prodige d’être arrêté pour « copie illicite » et « diffusion sans autorisation d’une oeuvre protégée ».
A bon entendeur, musique !
L'exposé: LE LABYRINTHE DE DEDALE
LE LABYRINTHE DE DEDALE
Nous sommes tous des Thésée en partance pour le labyrinthe.
« Ce n’est pas le soleil qui éclaire l’aventurier mais la torche qu’il tient dans sa main. » André Malraux in « le Démon de l’absolu »
J’ouvre aujourd’hui, pour vous, la porte de mon labyrinthe. Si vous vous y perdez, c’est que je m’y suis moi-même perdue. Bonne chasse.
Chercher, se documenter, lire, analyser, interpréter, comparer, compiler, synthétiser : voilà les ingrédients que nous utilisons pour rédiger nos exposés. Mais la Question fondamentale reste, cependant, ouverte : qui finalement pense quoi ? Et qui a seulement le temps d’authentifier réellement ses sources ?
La rédaction d’un exposé est un labyrinthe. Un labyrinthe où la pensée des autres alimente le propre courant de réflexion de l’auteur sans pour autant s’y substituer. Sans s’y substituer si l’auteur veille à ne pas se laisser aveugler par de séduisantes citations ou de bons mots.
Nos exposés sont des labyrinthes où l’on ne peut compter que sur nous-mêmes pour faire jaillir la carte maîtresse d’une idée, pour nous guider vers le centre même de cette idée. C’est toujours l’idée, elle-même, avec laquelle nous faisons corps quand nous l’étudions, qui illumine notre route. L’idée, cet astre accroché au zénith de notre libre pensée, cette pensée intraduisible que nous nommons le symbole.
« Labor intus » : travaille en dedans.
Du labyrinthe, j’ai tout de même retenu pour vous deux citations. La première est tirée du dictionnaires des symboles : « L’essence même du labyrinthe est de circonscrire dans le plus petit espace possible l’enchevêtrement le plus complexe de sentiers et de retarder ainsi l’arrivée du voyageur au centre qu’il veut atteindre. » L’auteur n’est pas cité. La deuxième est de Daniel Beresniak : « La labyrinthe est, depuis la nuit des temps, représenté comme l’image de l’espace qui sépare une demande de la satisfaction. » Voilà pour les citations. Fermons le ban.
Le labyrinthe de mon exposé débute par une devinette : J’ai trois voies. La première voie mène directement au centre, la seconde n’y mène qu’au prix d’un long et périlleux voyage et la troisième ne mène nulle part. Qui suis-je ?
Selon la tradition, il existe en effet trois voies offertes au voyageur à l’entrée d’un labyrinthe. Celui qui désire s’y engager doit en choisir une.
Pour l’éveillé, celui qui rêve sa vie dans la lumière crue de la réalité, celui qui s’obstine à ne vouloir subir une vie que d’autres ont choisi pour lui à sa place, pour celui-là, chaque jour passé en ce monde exige de lui qu’il se détermine, qu’il choisisse chaque étape de sa destinée. Qu’il en choisisse les petites comme les grandes. De la couleur du vêtement qu’il porte aujourd’hui comme de la remise en cause de ses certitudes les plus intimes et des actes qui en découleront raisonnablement.
Chaque jour impose à l’Homme debout, à l’homme épris de liberté, l’épreuve du labyrinthe. L’épreuve par laquelle, il réussit ou non à mettre en adéquation ses pensées et ses actes.
Accepter l’épreuve du labyrinthe, c’est accepter le danger de vivre, le danger de s’émanciper, le danger d’être libre.
Refuser l’épreuve du labyrinthe, c’est se condamner à l’immobilisme, à la stagnation, à la putréfaction, à l’errance dans les méandres de la misère morale. C’est se condamner à ce que certains nomment l’Enfer.
Entre la naissance et la mort s’étire le chemin de la vie. Ce chemin est parsemé d’embûches, de paris à relever et de décisions à prendre. Nous sommes perpétuellement en route pour des carrefours hérissés de panneaux indicateurs alléchants : « Succès par ici ». « Bonheur par là ». « bonne santé prendre à gauche ». « Argent prendre à droite ». « Félicité en avant toute. »
A première vue, les décisions quotidiennes qu’il faut prendre sont souvent anodines. Mais aussi imperceptible puisse être le changement de cap initial, il nous engage et chacun de nos choix peut modifier radicalement le tracé de notre route. Entre le maintien du cap et la dérive, nos voies sont innombrables et n’appartiennent qu’à nous seuls. Chacun y trace un sillon unique en fonction de sa naissance et de ses connaissances.
« Fata viam invenient » Les destins trouveront bien leurs voies.
Quelquefois je dérive au gré du vent, quelquefois je rame à contre courant, quelquefois j’arrive à bon port. Mais sitôt arrivé, je dois encore et encore appareiller jusqu’à mon ultime voyage qui me déposera à l’aube sur le rivage éternel.
Puisque la vie est un labyrinthe dont nous connaissons l’issue fatale, il vaut mieux le parcourir dans la joie : vivre heureux plutôt que malheureux. Et ce bonheur que nous cherchons, nous le découvrons en parcourant notre labyrinthe ; en le parcourant sans peur.
Trouver le bon chemin qui mène au centre de notre Être intime, se réconcilier avec nous-mêmes, y ressentir notre vie palpiter, ressortir à la lumière remplis de cette vérité simplissime et vivre au rythme de l’existence unique du cosmos : c’est ce que propose la représentation symbolique du labyrinthe.
Je suis posté à l’entrée du labyrinthe. Maintenant je sais que pour m’accomplir, je ne peux y échapper alors je veux y entrer mais, il y a une inscription effrayante gravée sur le frontispice : « Arrête ! ici commence le royaume de la mort. » Je ne suis guère rassuré et je préfère différer mon voyage. Je m’assois sur une pierre face à l’entrée ; je réfléchis. Il y a trois voies. Laquelle prendre ? La première qui mène directement au centre, la seconde qui n’y mène qu’au prix d’un long et périlleux voyage ou la troisième qui ne mène nulle part ?
Si j’emprunte la première voie qui m’est offerte, celle qui mène directement au centre - la voie royale - mon innocence saura me guider sans douter au cœur du labyrinthe. Aussi sûrement qu’une flèche se plante au centre de sa cible quand l’archer qui la décoche fait le vide dans son esprit à l’instant où il tire.
Si j’emprunte la deuxième voie, celle qui mène au centre au prix d’un long et périlleux voyage, mon instinct de survie saura me dicter à chaque embûche des ordres rapides, précis, sans me laisser le temps de les passer au crible de mon intellect. Je livrerai bataille. Je lutterai pour ma vie et je serai victorieux.
Mais si j’emprunte la troisième voie, celle qui ne mène nulle part, c’est la peur d’échouer qui me fera courir à l’aveuglette dans les méandres du dédale, dans les corridors de l’illusion, les faux raccourcis, les chicanes et leurs impasses.
Je courrai dans la panique et l’effroi, me cognant au hasard des cloisons qui me contiennent, vers un centre que je ne peux voir et qui se dérobe interminablement à ma vue et à ma volonté.
J’échouerai. Je resterai prisonnier du labyrinthe comme la bête qu’on y a enfermé pour me trouver et pour me dévorer.
Mais je n’ai pas peur. La bête ne me fait pas peur. Je suis décidé à emprunter la première voie, celle qui mène directement au centre. Quel fou, d’ailleurs, souhaiterait emprunter une autre voie que celle qui mène directement au centre ? De plus, je suis bien décidé à trouver la bête et à la vaincre. Mais que trouverais-je dans le labyrinthe en guise de bête ? En guise d’adversaire ? Moi-même. Cet autre moi qui me fait obstacle dans ma progression vers la lumière et la liberté.
Tout cela est bien réfléchi mais en attendant, les trois portes, les trois entrées, les trois couloirs qui s’enfoncent dans la nuit et dont je ne distingue que les premiers mètres, sont rigoureusement identiques. Rien ne les différencie. Aucun indice même minime, aucun signe. Rien. Je suis seul, livré en pâture à moi-même. Seul. Seul dans le combat que se livrent mes deux natures : l’ange et la bête.
En me posant la question de la nécessité du choix à faire et de la bonne voie à prendre, je me rends bien compte que je suis déjà entré dans le labyrinthe. Le labyrinthe est une question sans fin. Tant que des questions se posent à moi, je suis prisonnier du labyrinthe. Par contre, la sérénité est un espace ouvert sur le monde où les questions ne se posent plus. Un espace où je pourrais agir sans tension pour la paix, le bien et la justice. Un espace à conquérir sitôt que je serai sorti de mon labyrinthe.
Partir tranquillement d’un point A vers un point Z et se retrouver tout à fait par hasard à un point Oméga inconnu, cela nous rappelle tous quelque chose. Qui n’a jamais été détourné de sa route ? Qui ne s’est jamais perdu dans une ville sans plan ? Dans une forêt profonde sans boussole ? Qui n’en a pas tiré un enseignement véritable pour lui-même ?
Voici venu le temps de vous raconter l’histoire du Minotaure :
Minos, Roi de Crête, devait sacrifier un taureau blanc au dieu Poséïdon mais préféra le garder dans son troupeau. Caprice de Roi. Poséïdon se vengea sur la femme de Minos, Pasiphaé, qui nourrit soudain une passion sans limite pour le taureau blanc. De leurs nombreux accouplements clandestins naquit bientôt un monstre, mi-homme, mi bête : le Minotaure. Un homme à tête de taureau noir. Un enfant illégitime sanguinaire, du nom d’Astéros (l’étoile), qu’il valait mieux cacher et bien cacher en un lieu secret. On cacha donc l’étoile au fond d’un labyrinthe pour la rendre inaccessible.
Pour cela, le Roi Minos fit appel au plus talentueux artiste de son temps, Dédale, pour qu’il construise un palais dans la ville de Cnossos et y enferme durablement le Minotaure. Dédale imagina un palais-prison dont le monstre ne pourrait s’enfuir : un labyrinthe à ciel ouvert qui fut aussitôt appelé le « Palais de la double hache ».
Double hache : un avertissement à double tranchant : symbole des énergies contraires du labyrinthe : destructrice et protectrice à la fois. Du labyrinthe, Palais de la vie et de la mort. De la vie, avec un grand V, promise à qui en ressortirait sain et sauf et de la mort certaine à qui y périrait perdu ou dévoré par le Monstre. Par le Minotaure, cet autre et terrifiant nous-mêmes ; notre image inversée ; notre négatif.
Le Minotaure se nourrit de chair humaine. Il se tient au centre du labyrinthe pour y attendre ses victimes. Pour satisfaire à ses besoins, chaque année, Égée, le Roi d’Athènes, est contraint d’envoyer par la mer, sept jeunes filles et sept jeunes garçon en Crète pour qu’il lui soient jetés en pâture. Aucun n’en sort jamais vivant jusqu’au jour où un héros, Thésée, embarque parmi les victimes au départ d’Athènes, bien décidé à en découdre avec la bête et soulager ainsi les souffrances de ses sœurs et de ses frères.
Nous sommes tous des Thésée en partance pour le labyrinthe, prêts à tuer la bête primitive qui sommeille en nous. Cet animal brutal, pulsionnel, cannibale. Ce danger latent que nous sommes pour autrui ; ce danger latent qui gronde de douleur enfermé dans nos forteresses du silence. Notre « ça » écrasé quotidiennement par la pression sociale et qui réclame son tribut de violence, de haine, de sang. Cette énergie primordiale qu’il nous faut dompter librement pour qu’elle ne tombe pas aux mains des marchands d’illusions et des entreprises totalitaires toujours prêts à exploiter nos bassesses.
Thésée entre dans le labyrinthe et tue le Minotaure. Mais il lui faut encore ressortir du labyrinthe comme il nous faut nous-mêmes en sortir une fois soldés nos comptes avec nos êtres intimes.
Ah l’amour est d’un grand secours ! Le roi Minos à une fille, Ariane. Ariane, follement amoureuse de Thésée, lui a donné en cachette une bobine de fil à l’entrée du labyrinthe. Fil providentiel que Thésée déroule sur ses pas dans le dédale comme le petit Poucet sèmera plus tard ses cailloux dans la forêt pour retrouver sa route.
Fil d’Ariane, fil fragile de l’existence, grâce divine, amour d’une femme qui permet au héros de retrouver sans encombre la sortie du labyrinthe. Sans Ariane, Thésée, pourtant victorieux du Minotaure - sa nature profonde - se serait égaré, serait mort. L’homme organise le mystère au centre du labyrinthe. La femme en révèle l’issue secrète. Une bonne association.
Thésée et Ariane ont déjà pris la fuite par la mer. Le roi Minos est furieux du meurtre du Minotaure. C’est Dédale, l’architecte du labyrinthe, qui va trinquer à la santé du roi. Il faut dire que Dédale est complice. C’est lui qui a eu l’idée du fil d’Ariane. En guise de châtiment, Minos fait enfermer Dédale et son fils Icare dans le labyrinthe.
Mais une fois de plus, le génial Dédale se met à l’oeuvre. Il fabrique cette fois des ailes avec des plumes et de la cire.
Le père et le fils s’échappent du labyrinthe par la voie des airs. Mais Icare vole trop près du soleil. La cire fond, ses ailes brûlent. Icare retombe dans la mer, meurt. Avis aux amateurs. S’évader du labyrinthe en trichant présente aussi du danger. Seul l’initié, le sage, a peut-être (et je n’en suis même pas sûr) la possibilité d’y écourter son séjour dés lors qu’il en imagine l’issue.
La mythologie raconte que Thésée victorieux devint Roi et eût un rôle politique important, civilisateur. Celui qui sort victorieux du Labyrinthe, celui-là, s’il ne devient pas un bourreau pour ses semblables, deviendra une autorité naturelle et équitable : une véritable source de chaleur.
Depuis que les hommes ont exploré les recoins de leurs cavernes et exorcisé leurs peurs en y peignant des fauves de tous poils, les représentations du labyrinthe sont devenues communes à pratiquement toutes les civilisations.
Partout le labyrinthe y est synonyme d’un système de défense dissuasif et protecteur pour les trésors, les sépultures, les lieux de cultes, les enseignements sacrés. Partout le labyrinthe est devenu un rempart efficace contre les profanateurs. Pensons, par exemple, aux labyrinthes nichés aux coeurs des pyramides Égyptiennes qui protégeaient jadis les tombeaux des Pharaons et qui protègent toujours ceux dont ignorons l’existence.
Par essence, le labyrinthe ne permet l’accès au centre qu’aux seuls initiés. Il figure ainsi le voyage et les épreuves initiatiques du profane qui tente de s’approcher du centre caché dans lequel se trouve le symbole sacré. Un symbole bien défendu dont il lui faut encore percer les arcanes avant de retrouver le chemin de la liberté de penser.
Le labyrinthe de la liberté à de multiples accès. Mais Il existe un autre labyrinthe : le labyrinthe a une seule voie. C’est un labyrinthe paradoxal car nous ne pouvons nous y perdre. C’est le labyrinthe chrétien tracé sur le pavé des nefs de nos cathédrales. Seule la foi en Dieu nous y guide. C’est l’unique voie. L’unique voie qu’il nous faut parcourir, longue et sinueuse pour rejoindre la Jérusalem céleste. La maison de Dieu qui réside dans le cœur du fidèle. L’entrée représente la naissance, la circonvolution, le chemin de la vie et le centre, la mort. Point d’erreur de parcours possible mais point d’issue non plus. Le dogme religieux régente ici la vie du croyant toute entière.
J’ai voulu parcourir les labyrinthes de Chartres et d’Amiens mais des prie-Dieu les recouvraient ces jours là. Sans doute les jours suivants aussi car les labyrinthes d’église ont perdu depuis longtemps leurs fonctions initiales et sont destinés surtout à l’édition de cartes postales au profit des bonnes oeuvres des paroisses.
Bâtis au XIIe et XIIIe siècle par les Compagnons d’antant en même temps que les cathédrales qui les abritent, ces labyrinthes répondaient alors à une nécessité première : permettre à ceux qui ne pouvaient se rendre en pèlerinage ou en croisade jusqu’en terre sainte, de pouvoir, eux aussi, faire le voyage symboliquement sur le pavé de la nef. Ces labyrinthes s’appelaient d’ailleurs fréquemment « chemins de Jérusalem. » Le pénitent les parcourait à genoux en récitant des prières.
Beaucoup de ces labyrinthes ont été détruits et il semble trop facile de faire endosser le saccage à la seule ferveur révolutionnaire. L’église elle-même ne s’est pas gênée pour effacer ses propres labyrinthes car ils étaient souvent la signature des confréries de maçons ou des architectes qui avaient construit leurs cathédrales.
Au-delà du chiffre, des prouesses architecturales et d’un florilège d’interprétations, il apparaît clairement, que le labyrinthe a une voie n’a pas tenu ses promesses. L’église catholique qui en fut l’ordonnatrice ne pu maîtriser un symbole aussi ancien, puissant et utile à la réalisation de l’homme libre. Elle ne pu maîtriser le symbole à ce point qu’elle désira s’en débarrasser. Le labyrinthe a une seule voie est resté avant tout le symbole du labyrinthe avec un grand L. Et personne, malgré les prédications des prêtres, ne pu vraiment tout à fait oublier la légende d’un Minotaure même déguisé grossièrement en Satan de carnaval.
Il s’agissait alors de supprimer un système de représentation symbolique pré-chrétien qui répondait régulièrement aux noms de « labyrinthes de Salomon » ou de « Maisons de Dédale ». Appellations en effet gênantes pour un pouvoir sans partage...
La conclusion est brêve et le labyrinthe toujours prêt à nous engloutir : La liberté consiste à bien connaître ce qui nous asservit.
Nous sommes tous des Thésée en partance pour le labyrinthe.
« Ce n’est pas le soleil qui éclaire l’aventurier mais la torche qu’il tient dans sa main. » André Malraux in « le Démon de l’absolu »
J’ouvre aujourd’hui, pour vous, la porte de mon labyrinthe. Si vous vous y perdez, c’est que je m’y suis moi-même perdue. Bonne chasse.
Chercher, se documenter, lire, analyser, interpréter, comparer, compiler, synthétiser : voilà les ingrédients que nous utilisons pour rédiger nos exposés. Mais la Question fondamentale reste, cependant, ouverte : qui finalement pense quoi ? Et qui a seulement le temps d’authentifier réellement ses sources ?
La rédaction d’un exposé est un labyrinthe. Un labyrinthe où la pensée des autres alimente le propre courant de réflexion de l’auteur sans pour autant s’y substituer. Sans s’y substituer si l’auteur veille à ne pas se laisser aveugler par de séduisantes citations ou de bons mots.
Nos exposés sont des labyrinthes où l’on ne peut compter que sur nous-mêmes pour faire jaillir la carte maîtresse d’une idée, pour nous guider vers le centre même de cette idée. C’est toujours l’idée, elle-même, avec laquelle nous faisons corps quand nous l’étudions, qui illumine notre route. L’idée, cet astre accroché au zénith de notre libre pensée, cette pensée intraduisible que nous nommons le symbole.
« Labor intus » : travaille en dedans.
Du labyrinthe, j’ai tout de même retenu pour vous deux citations. La première est tirée du dictionnaires des symboles : « L’essence même du labyrinthe est de circonscrire dans le plus petit espace possible l’enchevêtrement le plus complexe de sentiers et de retarder ainsi l’arrivée du voyageur au centre qu’il veut atteindre. » L’auteur n’est pas cité. La deuxième est de Daniel Beresniak : « La labyrinthe est, depuis la nuit des temps, représenté comme l’image de l’espace qui sépare une demande de la satisfaction. » Voilà pour les citations. Fermons le ban.
Le labyrinthe de mon exposé débute par une devinette : J’ai trois voies. La première voie mène directement au centre, la seconde n’y mène qu’au prix d’un long et périlleux voyage et la troisième ne mène nulle part. Qui suis-je ?
Selon la tradition, il existe en effet trois voies offertes au voyageur à l’entrée d’un labyrinthe. Celui qui désire s’y engager doit en choisir une.
Pour l’éveillé, celui qui rêve sa vie dans la lumière crue de la réalité, celui qui s’obstine à ne vouloir subir une vie que d’autres ont choisi pour lui à sa place, pour celui-là, chaque jour passé en ce monde exige de lui qu’il se détermine, qu’il choisisse chaque étape de sa destinée. Qu’il en choisisse les petites comme les grandes. De la couleur du vêtement qu’il porte aujourd’hui comme de la remise en cause de ses certitudes les plus intimes et des actes qui en découleront raisonnablement.
Chaque jour impose à l’Homme debout, à l’homme épris de liberté, l’épreuve du labyrinthe. L’épreuve par laquelle, il réussit ou non à mettre en adéquation ses pensées et ses actes.
Accepter l’épreuve du labyrinthe, c’est accepter le danger de vivre, le danger de s’émanciper, le danger d’être libre.
Refuser l’épreuve du labyrinthe, c’est se condamner à l’immobilisme, à la stagnation, à la putréfaction, à l’errance dans les méandres de la misère morale. C’est se condamner à ce que certains nomment l’Enfer.
Entre la naissance et la mort s’étire le chemin de la vie. Ce chemin est parsemé d’embûches, de paris à relever et de décisions à prendre. Nous sommes perpétuellement en route pour des carrefours hérissés de panneaux indicateurs alléchants : « Succès par ici ». « Bonheur par là ». « bonne santé prendre à gauche ». « Argent prendre à droite ». « Félicité en avant toute. »
A première vue, les décisions quotidiennes qu’il faut prendre sont souvent anodines. Mais aussi imperceptible puisse être le changement de cap initial, il nous engage et chacun de nos choix peut modifier radicalement le tracé de notre route. Entre le maintien du cap et la dérive, nos voies sont innombrables et n’appartiennent qu’à nous seuls. Chacun y trace un sillon unique en fonction de sa naissance et de ses connaissances.
« Fata viam invenient » Les destins trouveront bien leurs voies.
Quelquefois je dérive au gré du vent, quelquefois je rame à contre courant, quelquefois j’arrive à bon port. Mais sitôt arrivé, je dois encore et encore appareiller jusqu’à mon ultime voyage qui me déposera à l’aube sur le rivage éternel.
Puisque la vie est un labyrinthe dont nous connaissons l’issue fatale, il vaut mieux le parcourir dans la joie : vivre heureux plutôt que malheureux. Et ce bonheur que nous cherchons, nous le découvrons en parcourant notre labyrinthe ; en le parcourant sans peur.
Trouver le bon chemin qui mène au centre de notre Être intime, se réconcilier avec nous-mêmes, y ressentir notre vie palpiter, ressortir à la lumière remplis de cette vérité simplissime et vivre au rythme de l’existence unique du cosmos : c’est ce que propose la représentation symbolique du labyrinthe.
Je suis posté à l’entrée du labyrinthe. Maintenant je sais que pour m’accomplir, je ne peux y échapper alors je veux y entrer mais, il y a une inscription effrayante gravée sur le frontispice : « Arrête ! ici commence le royaume de la mort. » Je ne suis guère rassuré et je préfère différer mon voyage. Je m’assois sur une pierre face à l’entrée ; je réfléchis. Il y a trois voies. Laquelle prendre ? La première qui mène directement au centre, la seconde qui n’y mène qu’au prix d’un long et périlleux voyage ou la troisième qui ne mène nulle part ?
Si j’emprunte la première voie qui m’est offerte, celle qui mène directement au centre - la voie royale - mon innocence saura me guider sans douter au cœur du labyrinthe. Aussi sûrement qu’une flèche se plante au centre de sa cible quand l’archer qui la décoche fait le vide dans son esprit à l’instant où il tire.
Si j’emprunte la deuxième voie, celle qui mène au centre au prix d’un long et périlleux voyage, mon instinct de survie saura me dicter à chaque embûche des ordres rapides, précis, sans me laisser le temps de les passer au crible de mon intellect. Je livrerai bataille. Je lutterai pour ma vie et je serai victorieux.
Mais si j’emprunte la troisième voie, celle qui ne mène nulle part, c’est la peur d’échouer qui me fera courir à l’aveuglette dans les méandres du dédale, dans les corridors de l’illusion, les faux raccourcis, les chicanes et leurs impasses.
Je courrai dans la panique et l’effroi, me cognant au hasard des cloisons qui me contiennent, vers un centre que je ne peux voir et qui se dérobe interminablement à ma vue et à ma volonté.
J’échouerai. Je resterai prisonnier du labyrinthe comme la bête qu’on y a enfermé pour me trouver et pour me dévorer.
Mais je n’ai pas peur. La bête ne me fait pas peur. Je suis décidé à emprunter la première voie, celle qui mène directement au centre. Quel fou, d’ailleurs, souhaiterait emprunter une autre voie que celle qui mène directement au centre ? De plus, je suis bien décidé à trouver la bête et à la vaincre. Mais que trouverais-je dans le labyrinthe en guise de bête ? En guise d’adversaire ? Moi-même. Cet autre moi qui me fait obstacle dans ma progression vers la lumière et la liberté.
Tout cela est bien réfléchi mais en attendant, les trois portes, les trois entrées, les trois couloirs qui s’enfoncent dans la nuit et dont je ne distingue que les premiers mètres, sont rigoureusement identiques. Rien ne les différencie. Aucun indice même minime, aucun signe. Rien. Je suis seul, livré en pâture à moi-même. Seul. Seul dans le combat que se livrent mes deux natures : l’ange et la bête.
En me posant la question de la nécessité du choix à faire et de la bonne voie à prendre, je me rends bien compte que je suis déjà entré dans le labyrinthe. Le labyrinthe est une question sans fin. Tant que des questions se posent à moi, je suis prisonnier du labyrinthe. Par contre, la sérénité est un espace ouvert sur le monde où les questions ne se posent plus. Un espace où je pourrais agir sans tension pour la paix, le bien et la justice. Un espace à conquérir sitôt que je serai sorti de mon labyrinthe.
Partir tranquillement d’un point A vers un point Z et se retrouver tout à fait par hasard à un point Oméga inconnu, cela nous rappelle tous quelque chose. Qui n’a jamais été détourné de sa route ? Qui ne s’est jamais perdu dans une ville sans plan ? Dans une forêt profonde sans boussole ? Qui n’en a pas tiré un enseignement véritable pour lui-même ?
Voici venu le temps de vous raconter l’histoire du Minotaure :
Minos, Roi de Crête, devait sacrifier un taureau blanc au dieu Poséïdon mais préféra le garder dans son troupeau. Caprice de Roi. Poséïdon se vengea sur la femme de Minos, Pasiphaé, qui nourrit soudain une passion sans limite pour le taureau blanc. De leurs nombreux accouplements clandestins naquit bientôt un monstre, mi-homme, mi bête : le Minotaure. Un homme à tête de taureau noir. Un enfant illégitime sanguinaire, du nom d’Astéros (l’étoile), qu’il valait mieux cacher et bien cacher en un lieu secret. On cacha donc l’étoile au fond d’un labyrinthe pour la rendre inaccessible.
Pour cela, le Roi Minos fit appel au plus talentueux artiste de son temps, Dédale, pour qu’il construise un palais dans la ville de Cnossos et y enferme durablement le Minotaure. Dédale imagina un palais-prison dont le monstre ne pourrait s’enfuir : un labyrinthe à ciel ouvert qui fut aussitôt appelé le « Palais de la double hache ».
Double hache : un avertissement à double tranchant : symbole des énergies contraires du labyrinthe : destructrice et protectrice à la fois. Du labyrinthe, Palais de la vie et de la mort. De la vie, avec un grand V, promise à qui en ressortirait sain et sauf et de la mort certaine à qui y périrait perdu ou dévoré par le Monstre. Par le Minotaure, cet autre et terrifiant nous-mêmes ; notre image inversée ; notre négatif.
Le Minotaure se nourrit de chair humaine. Il se tient au centre du labyrinthe pour y attendre ses victimes. Pour satisfaire à ses besoins, chaque année, Égée, le Roi d’Athènes, est contraint d’envoyer par la mer, sept jeunes filles et sept jeunes garçon en Crète pour qu’il lui soient jetés en pâture. Aucun n’en sort jamais vivant jusqu’au jour où un héros, Thésée, embarque parmi les victimes au départ d’Athènes, bien décidé à en découdre avec la bête et soulager ainsi les souffrances de ses sœurs et de ses frères.
Nous sommes tous des Thésée en partance pour le labyrinthe, prêts à tuer la bête primitive qui sommeille en nous. Cet animal brutal, pulsionnel, cannibale. Ce danger latent que nous sommes pour autrui ; ce danger latent qui gronde de douleur enfermé dans nos forteresses du silence. Notre « ça » écrasé quotidiennement par la pression sociale et qui réclame son tribut de violence, de haine, de sang. Cette énergie primordiale qu’il nous faut dompter librement pour qu’elle ne tombe pas aux mains des marchands d’illusions et des entreprises totalitaires toujours prêts à exploiter nos bassesses.
Thésée entre dans le labyrinthe et tue le Minotaure. Mais il lui faut encore ressortir du labyrinthe comme il nous faut nous-mêmes en sortir une fois soldés nos comptes avec nos êtres intimes.
Ah l’amour est d’un grand secours ! Le roi Minos à une fille, Ariane. Ariane, follement amoureuse de Thésée, lui a donné en cachette une bobine de fil à l’entrée du labyrinthe. Fil providentiel que Thésée déroule sur ses pas dans le dédale comme le petit Poucet sèmera plus tard ses cailloux dans la forêt pour retrouver sa route.
Fil d’Ariane, fil fragile de l’existence, grâce divine, amour d’une femme qui permet au héros de retrouver sans encombre la sortie du labyrinthe. Sans Ariane, Thésée, pourtant victorieux du Minotaure - sa nature profonde - se serait égaré, serait mort. L’homme organise le mystère au centre du labyrinthe. La femme en révèle l’issue secrète. Une bonne association.
Thésée et Ariane ont déjà pris la fuite par la mer. Le roi Minos est furieux du meurtre du Minotaure. C’est Dédale, l’architecte du labyrinthe, qui va trinquer à la santé du roi. Il faut dire que Dédale est complice. C’est lui qui a eu l’idée du fil d’Ariane. En guise de châtiment, Minos fait enfermer Dédale et son fils Icare dans le labyrinthe.
Mais une fois de plus, le génial Dédale se met à l’oeuvre. Il fabrique cette fois des ailes avec des plumes et de la cire.
Le père et le fils s’échappent du labyrinthe par la voie des airs. Mais Icare vole trop près du soleil. La cire fond, ses ailes brûlent. Icare retombe dans la mer, meurt. Avis aux amateurs. S’évader du labyrinthe en trichant présente aussi du danger. Seul l’initié, le sage, a peut-être (et je n’en suis même pas sûr) la possibilité d’y écourter son séjour dés lors qu’il en imagine l’issue.
La mythologie raconte que Thésée victorieux devint Roi et eût un rôle politique important, civilisateur. Celui qui sort victorieux du Labyrinthe, celui-là, s’il ne devient pas un bourreau pour ses semblables, deviendra une autorité naturelle et équitable : une véritable source de chaleur.
Depuis que les hommes ont exploré les recoins de leurs cavernes et exorcisé leurs peurs en y peignant des fauves de tous poils, les représentations du labyrinthe sont devenues communes à pratiquement toutes les civilisations.
Partout le labyrinthe y est synonyme d’un système de défense dissuasif et protecteur pour les trésors, les sépultures, les lieux de cultes, les enseignements sacrés. Partout le labyrinthe est devenu un rempart efficace contre les profanateurs. Pensons, par exemple, aux labyrinthes nichés aux coeurs des pyramides Égyptiennes qui protégeaient jadis les tombeaux des Pharaons et qui protègent toujours ceux dont ignorons l’existence.
Par essence, le labyrinthe ne permet l’accès au centre qu’aux seuls initiés. Il figure ainsi le voyage et les épreuves initiatiques du profane qui tente de s’approcher du centre caché dans lequel se trouve le symbole sacré. Un symbole bien défendu dont il lui faut encore percer les arcanes avant de retrouver le chemin de la liberté de penser.
Le labyrinthe de la liberté à de multiples accès. Mais Il existe un autre labyrinthe : le labyrinthe a une seule voie. C’est un labyrinthe paradoxal car nous ne pouvons nous y perdre. C’est le labyrinthe chrétien tracé sur le pavé des nefs de nos cathédrales. Seule la foi en Dieu nous y guide. C’est l’unique voie. L’unique voie qu’il nous faut parcourir, longue et sinueuse pour rejoindre la Jérusalem céleste. La maison de Dieu qui réside dans le cœur du fidèle. L’entrée représente la naissance, la circonvolution, le chemin de la vie et le centre, la mort. Point d’erreur de parcours possible mais point d’issue non plus. Le dogme religieux régente ici la vie du croyant toute entière.
J’ai voulu parcourir les labyrinthes de Chartres et d’Amiens mais des prie-Dieu les recouvraient ces jours là. Sans doute les jours suivants aussi car les labyrinthes d’église ont perdu depuis longtemps leurs fonctions initiales et sont destinés surtout à l’édition de cartes postales au profit des bonnes oeuvres des paroisses.
Bâtis au XIIe et XIIIe siècle par les Compagnons d’antant en même temps que les cathédrales qui les abritent, ces labyrinthes répondaient alors à une nécessité première : permettre à ceux qui ne pouvaient se rendre en pèlerinage ou en croisade jusqu’en terre sainte, de pouvoir, eux aussi, faire le voyage symboliquement sur le pavé de la nef. Ces labyrinthes s’appelaient d’ailleurs fréquemment « chemins de Jérusalem. » Le pénitent les parcourait à genoux en récitant des prières.
Beaucoup de ces labyrinthes ont été détruits et il semble trop facile de faire endosser le saccage à la seule ferveur révolutionnaire. L’église elle-même ne s’est pas gênée pour effacer ses propres labyrinthes car ils étaient souvent la signature des confréries de maçons ou des architectes qui avaient construit leurs cathédrales.
Au-delà du chiffre, des prouesses architecturales et d’un florilège d’interprétations, il apparaît clairement, que le labyrinthe a une voie n’a pas tenu ses promesses. L’église catholique qui en fut l’ordonnatrice ne pu maîtriser un symbole aussi ancien, puissant et utile à la réalisation de l’homme libre. Elle ne pu maîtriser le symbole à ce point qu’elle désira s’en débarrasser. Le labyrinthe a une seule voie est resté avant tout le symbole du labyrinthe avec un grand L. Et personne, malgré les prédications des prêtres, ne pu vraiment tout à fait oublier la légende d’un Minotaure même déguisé grossièrement en Satan de carnaval.
Il s’agissait alors de supprimer un système de représentation symbolique pré-chrétien qui répondait régulièrement aux noms de « labyrinthes de Salomon » ou de « Maisons de Dédale ». Appellations en effet gênantes pour un pouvoir sans partage...
La conclusion est brêve et le labyrinthe toujours prêt à nous engloutir : La liberté consiste à bien connaître ce qui nous asservit.
Langage et pouvoir chez Nietzsche
Langage et pouvoir chez Nietzsche
Problématique :
1/ Quelle est la position d’un philosophe comme Nietzsche, c’est-à-dire un penseur de la solitude et du surhumain, vis-à-vis de ce qu’il appelle « le langage grégaire » ? Le langage tel que nous le pratiquons (celui des philosophes ou le parler commun) est-il compatible avec sa propre pratique ?
2/ Quelle est la particularité du discours nietzschéen, et, partant son pouvoir : sa capacité de se poser en modèle, et / ou de résister au langage grégaire ?
Précaution :
Commencer une étude sur le langage et le pouvoir chez Nietzsche par l’exposé de son diagnostic du discours grégaire est une entreprise risquée. La force en effet ne saurait se définir par rapport à la faiblesse : en tant que force, elle ne se réfère qu’à elle-même, ou à une autre force. Dire « voici le discours grégaire : le grand style, c’est le contraire », reviendrait justement à adopter un point de vue …grégaire. Cette précaution prise , on comprendra que si nous commençons néanmoins par exposer l’aspect critique du travail de Nietzsche, c’est uniquement l’aspect critique du travail de Nietzsche, c’est uniquement pour des commodités de compréhension.
I.Le langage grégaire : impuissance et contrainte.
1.1La critique généalogique.
1.1.1 En quoi elle consiste.
Elle est une lecture des rapports de force qui sont à l’œuvre sous des états de faits apparemment simples. Faire la généalogie d’un jugement de valeur, c’est montrer comment les différentes forces qui sont à origine se sont produites -au sens théâtral- et quel était le conflit d’intérêt qui les opposait. Cf . Foucault : l’émergence dont rend compte la généalogie, c’est « l’entrée en scène des forces ; c’est leur irruption, le bond par lequel elles sautent de la coulisse sur le théâtre ».
Son objet par excellence est le langage courant, en tant qu’il inscrit en lui les évaluations dominantes. Le recours à l’étymologie, dans l’optique d’une généalogie du langage, vise ainsi à montrer quelles forces étaient à l’origine du jugement de valeur qui s’est cristallisé dans un mot. .Nietzsche dans ses dernières œuvres au moins, fait de la philologie une histoire des mots à caractère généalogique. Lorsqu’il écrit (avec raison) :
Je crois pouvoir interpréter le terme latin bonus comme « le guerrier » : à supposer que j’aie raison de ramener bonus au terme plus ancien de duonus (comparez bellum-duellum- duen-lum où me paraît être ce contenu ce duonus). Bonus serait donc l’homme de la discorde, du duel (duo), le guerrier : on voit ce qui faisait dans la Rome antique la « bonté » d’un homme.(1)
Ou même à tort :
Le latin malus (que je place à côté du gec mélas) pourrait avoir caractérisé l’homme du commun comme homme de couleur foncée, surtout comme homme aux cheveux noirs (« hic niger est »), puisque l’indigène pré-aryen du sol italique tranche le plus nettement par sa couleur sur la race blonde des conquérants aryens devenus ses maîtres ;(…)(2)
NOTES
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(1)La généalogie de la morale,I.
(2)M. Haar,Nietzsche et la métaphysique, p.116.
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Il est clair que son but en tant que généalogiste, est, se servant de l’étymologie, d’exhiber les conditions de surgissement d’un sens, les raisons de l’attribution d’un nom.
1.1.2 L’origine esthétique du langage et sa condition grégaire.
Haar : « le langage est un instrument d’occultation de l’expérience esthétique dont il est pourtant issu ».
Le langage est la traduction métaphorique dans la sphère apollinienne ( l’apparence) de la « musique dionysiaque », i.e. et de la « mélodie originelle des affects ». Traduction métaphorique, car il y a par trois fois saut d’une sphère à une autre : 1). Excitation nerveuse (= la musique dionysiaque) image. 2) image sensible. Et chaque étape se paie par une réduction du particulier à l’identique, du divers à l’un. Le concept, dernière fabrication, est ainsi appelé le « sépulcre des intuitions ».
1.2 Diagnostic : « la maladie native du langage ».
1.2.1 Le langage réactif
Si le concept n’est qu’une construction humaine, donc complexe et superficielle, comment en est-on venu à croire qu’il était « la simple vue des choses qui se présentent à notre esprit » (Pascal)
C’est parce que la nécessité de vivre ensemble impose 1° une base de communication certaine, et 2° que le groupe en tant que tel se protège de l’irruption chaotique du nouveau, du déstabilisant, du contradictoire. Ce sont ces impératifs qui sont à l’origine des catégories logiques, des lois, des taxinomies et, généralement, de tout ce qui conjure le nouveau en le comparant à du déjà vu. Voilà pourquoi la communauté est un troupeau : parce qu’elle existe à cause de la peur de l’autre qui anime chacun de ses membres. Cette peur qui est au fondement de la vie en groupe, Nietzsche l’appelle "la volonté réactive" :
C’est grâce à l’invention des catégories logiques grammaticales et métaphysiques que triomphe le langage réactif.(...) C’est pour permettre à la volonté réactive de se maintenir que s’inevente la logique, c’est-à-dire la réduction à des "cas identiques". Cette schématisation, cette appropriation imaginaire du réel permet de fuir ses contradictions déconcertantes et de se protéger fictivement à l’abri d’identités stables et rassurantes.(2)
1.2.2 La grammaire, une métaphysique pour le peuple.
Pourquoi un si grossier subterfuge n’at-il pas sauté aux yeux du premier esprit critique venu ? Pourquoi a-t-il fallu attendre l’inevention de la généalogie ?
C’est parce qu’avec la grammaire, les catégories logiques et les concepts se sont logés au plus profond de notre manière de parler, donc déterminent notre manière de penser. On ne pense qu’en terme de sujet, de verbe, d’attribut...Par là, la présence de ces catégories fait comme une tâche noire, et échappe aux esprits les plus fins : même Descartes, ayant décidé de "ne comprendre rien de plus en (ses) jugements, que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à [son]esprit [qu’il n’eût] aucune occasion de le mettre en doute", est resté prisonnier de la grammaire, comme le montre sa "certitude" du cogito. Et comme lui, nous raisonnons d’après la routine grammaticale : "penser est une action, toute action suppose un sujet qui l’accomplit, par conséquent..."(3) De même , "le concept de Dieu se trouve également déduit de la métaphysique implicite de la langue". C’est pourquoi Je crains que nous ne puissions nous débarasser de Dieu, parce que nous croyons encore à la grammaire.(4)
Le langage que nous parlons porte donc inscrit au plus profond de ses codes la peur, l’impuissance , est un lieu de pouvoir, au moins en tant qu’il est une contrainte (cf. les très "nietzschéennes" analyses de Foucault dans l’ordre du discours).
NOTES
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(2)M. Haar,Nietzsche et la métaphysique, p.116.
(3)Par-delà le bien et le mal,(section)17.
(4)Crépuscule des idoles, La "raison" dans la philosophie,(section)5.
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II. La rupture du consensus.
2.1 La polémique
2.1.1 Nietzsche et ses adversaires. "Je ne m’en prends jamais aux personnes,-la personne ne me sert que de verre grossissant qui permet de rendre invisible un état de crise général, mais insidieux, malaisé à saisir"(5). Les adversaires de Nietzsche sont toujours des types.Presque des caricatures.Il s’agit à chaque fois d’une construction rhétorique, qui amène Nietzsche à s’opposer à une figure représentative. Ainsi de Schopenauer et Wagner : En gros de même qu’on saisit une occasion par les cheveux, je saisissais par les cheveux deux personnages typiques, déjà célèbres, et qui pourtant n’avaient pas encore été bien analysés,afin d’exprimer quelque chose, afin d’avoir sous la main quelques formules, signes, moyens d’expression de plus.(6) Avec ce procédé rhétorique, Nietzschese rapproche de Montaigne, qui construit dans ses écrits une "série de relations dialogiques" (Bakhtine) avec les penseurs qu’il cite, et surtout de Pascal, qui (cf. Descotes) lui aussi chercheà représenter les thèses les plus caractéristiques des "personnages" qu’il construit. Mais alors que chez Montaigne ce procédé est celui d’un sceptique- "puisque je ne sais rien, je préfère laisser parler les autres"-, et que pour Pascal il n’est qu’une arme destinée à suppléer les manques de la méthode géométrique, chez Nietzsche la même démarche acquiert une autre dimension : tous ces types sont comme les personnages d’une fiction, c’est-à-dire des types possibles, que Nietzsche teste par la polémique, comme un romancier qui teste des possibilités d’action ou de pensée à travers les personnages qu’il crée. Et Zarathoustra dit : C’est toujours à contre-coeur que j’ai demandé mon chemin, j’y ai toujours répugné. Je préfère interroger les chemins eux-mêmes, et les essayer. Essayer et interroger-c’est ma façon d’avancer...(7) C’est-à-dire que la vérité n’est pas au bout du chemin, mais elle est le chemin lui-même (cf. infra : "Nietzche magister"). Comme le dit Jaspers, elle n’est pas un au-delà du langage, mais l’impulsion animant toute forme de langage. Les chemins dont parle Zarathoustra sont les vérités propre à chaque type de penseur, leur discours, leur pratique du langage. Et la polémique est la confrontation avec ces penseurs, qui teste la validité de leur pensée. Elle est l’épine dorsale d’une "philosophie à coups de marteau".
2.2.1 "Savoir être ennemi".
L’instinct d’agression est la première caractéristique du discours nietzschéen.
Je suis belliqueux de nature. L’agression fait partie de mes instincts . Savoir être ennemi, cela suppose peut-être une forte nature : en tout cas c’est une condition inhérente à toute forte nature.(8) La libération d’un instinct agressif est précisément ce contre quoi lutte la volonté réactive collective, avec ses catégories logiques. La polémique sous toutes ses formes (controverse, raillerie, parodie, trait...) est une expression libre de la volonté de puissance. Ce qu’il ne faudrait pas confondre avec une polémique nietzschéenne relève d’une "saine méchanceté" : saine parce que tout l’intérêt du combat est dans le combat lui-même, pas dans la victoire. Aussi, Nietzsche vise-t-il toujours des adversaires à sa taille : Affronter l’ennemi d’égal à égal-condition première d’un duel loyal.Là où l’on méprise, on ne peut faire la guerre ; là où l’on domine, là où l’on voit quelque chose au-dessous de soi, on n’a pas à faire la guerre.(9) on voit bien que le caractère que le caractère belliqueux de Nietzsche ne le pousse pas à un déchaînement de violence : il accorde au contraire une importance extrême à la maîtrise de cette pulsion, à la mesure. Et c’est justement la rencontre de l’égal qui donne la mesure de sa propre force, et qui permet la transformation d’un instinct sauvage en une forme belle : le grand style.
2.2 Le grand style
Première qualité de l’écrivain de grand style , la richesse intérieure, le bouillonnement des passions ("la première chose qui importe, c’est la vie : le style doit vivre : à Lou Salomé). Le grand style doit faire vivre la "mélodie originelle des affects" :
(5)Ecce Homo, "Pourquoi je suis si sage", (section)7.
(6)E.II., Les "Inactuelles", p.294.
(7)Zarathoustra,"de l’esprit de lourdeur",2.
(8)Ecce Homo,"Pourquoi je suis si sage",(section)7.
(9)Ecce Homo,p.254.
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Un mot sur mon art du style en général Communiquer par des signes-y compris par le tempo de ces signes- un état, ou la tension d’une passion, tel est le sens de tout style : et si l’on songe que la diversitédes états intérieurs est chez moi exceptionnelle, il y adonc chez moi beaucoup de possibilités de styles- l’art de styliste le plus versatilequ’homme ait jamais maîtrisé.(10)
Le mot-clé est celui de maîtrise : le grand style procède de l’ivresse dionysiaque, mais il le maîtrise et aboutit finalementau calme apollinien. (Comme tout langage : un langage dionysiaque expression immédiate des passions, est un non-sens. Mais, alors que l’esprit réactif à l’oeuvre dans le langage commun refoule le dionysiaque, le grand style l’accepte et le sublime : "Il faut avoir un chaos en soi pour donner naissance à une étoile qui danse").
L’aphorisme est l’exemple le plus aboutit de cette sublimation de grand style :
Maîtriser le chaos que l’on est : contraindre son chaos à devenir forme : devenir nécessité dans la forme : devenir logique, simple, non équivoque, mathématique : devenir loi- c’est là la grande ambition.(11) Le principe de l’aphorisme est proche de la détermination leibnizienne : maximum d’effet avec le minimum de moyens. La pensée atteint par là une concentration telle qu’elle se met à rayonner (comme un astre qui atteintune masse critique et devient une étoile) : (L’aphorisme est une) mosaîque de mots où chaque mot par sa sonorité, sa place, sa signification, rayonne sa force, à droite, à gauche, et sur l’ensemble, ce minimum de signes, en étendue et en nombre, atteignant en ce point un maximum dans l’énergie : tout cela est romain et si l’on veut m’en croire aristocratique par excellence ;(12)
Le grand style(et l’aphorisme en particulier) a deux limites asymptotiques. La première est dionysiaque : c’est le chant et la danse, en tant que meilleure traduction humaine de la mélodie originelle des affects. La deuxième est apollinienne : c’est l’architecture classique, en tant que forme durable du calme apollinien. La force du langage qu’invente Nietzscheest de ne pas sacrifier l’un pour l’autre. La volonté de puissance qui trouve à s’exprimer librement dans l’aphorisme est proprement volonté d’être en puissance, d’être en tension : elle réclame la contradiction et le déchirement comme sa réalisation la plus haute.
Conclusion :
Nietzsche est le créateur d’un style nouveau, qui donne au langage un pouvoir exceptionnel : celui d’être ouvertement l’écho de la volonté de puissance qui l’anime. Cette volonté de puissance n’est pas une volonté de conservation : au contraire, Nietzscheva au devant de la folie et de la mort, en recherchant la déchirure tragique, la tension extrême entre le plus bas (la bête) et le plus haut (le surhumain).
Notre langage aussi porte la marque d’une volonté de puissance, même s’il s’en cache : la classe dominante, qui s’arroge "le droit seigneurial de donner des noms" laisse dans ces noms les traces de ses jugements de valeurs. Dans notre société judéo-chrétienne, la classe dominante est celle des prêtres, et leurs valeurs sont l’éternité et la pérennité, et le refus du monde sensible. En outre, le langage est l’instrument de leur domination sur un groupe constitué en troupeau : outre qu’il véhicule leurs préjugés métaphysiques, il contrôle ce qui peut être dit. (Note importante : ne pas confondre cette constatation d’une loi "physique" avec une condamnation morale : les prêtres ne sont pas les "méchants", mais un prsime etc...)
Et finalement un discours comme celui de Nietzsche est soit rejeté parce que jugé incompatible avec les valeurs qui fondent la vie en communauté (Comte-Sponville, Ferry), soit réduit à une philosophie "acceptable" (Heidegger). => Quelle place pour un discours qui assume ouvertement sa force au sein d’un langage qui ne tolère pas d’autre pouvoir que le sien ? Si le langage de la philosophie se fonde sur cette logique réactive que la généalogie a dévoilée, est-il possible de faire une lecture philosophique de Nietzsche ? Etant fidèles aux catégories philoophique, ne dénature-t-on pas Nietzsche ? Et si l’on entre véritablement dans la pensée de Nietzsche, ne sort-on pas de la philosophie ? La pratique nietzschéenne du langage est un cas-limite.
Problématique :
1/ Quelle est la position d’un philosophe comme Nietzsche, c’est-à-dire un penseur de la solitude et du surhumain, vis-à-vis de ce qu’il appelle « le langage grégaire » ? Le langage tel que nous le pratiquons (celui des philosophes ou le parler commun) est-il compatible avec sa propre pratique ?
2/ Quelle est la particularité du discours nietzschéen, et, partant son pouvoir : sa capacité de se poser en modèle, et / ou de résister au langage grégaire ?
Précaution :
Commencer une étude sur le langage et le pouvoir chez Nietzsche par l’exposé de son diagnostic du discours grégaire est une entreprise risquée. La force en effet ne saurait se définir par rapport à la faiblesse : en tant que force, elle ne se réfère qu’à elle-même, ou à une autre force. Dire « voici le discours grégaire : le grand style, c’est le contraire », reviendrait justement à adopter un point de vue …grégaire. Cette précaution prise , on comprendra que si nous commençons néanmoins par exposer l’aspect critique du travail de Nietzsche, c’est uniquement l’aspect critique du travail de Nietzsche, c’est uniquement pour des commodités de compréhension.
I.Le langage grégaire : impuissance et contrainte.
1.1La critique généalogique.
1.1.1 En quoi elle consiste.
Elle est une lecture des rapports de force qui sont à l’œuvre sous des états de faits apparemment simples. Faire la généalogie d’un jugement de valeur, c’est montrer comment les différentes forces qui sont à origine se sont produites -au sens théâtral- et quel était le conflit d’intérêt qui les opposait. Cf . Foucault : l’émergence dont rend compte la généalogie, c’est « l’entrée en scène des forces ; c’est leur irruption, le bond par lequel elles sautent de la coulisse sur le théâtre ».
Son objet par excellence est le langage courant, en tant qu’il inscrit en lui les évaluations dominantes. Le recours à l’étymologie, dans l’optique d’une généalogie du langage, vise ainsi à montrer quelles forces étaient à l’origine du jugement de valeur qui s’est cristallisé dans un mot. .Nietzsche dans ses dernières œuvres au moins, fait de la philologie une histoire des mots à caractère généalogique. Lorsqu’il écrit (avec raison) :
Je crois pouvoir interpréter le terme latin bonus comme « le guerrier » : à supposer que j’aie raison de ramener bonus au terme plus ancien de duonus (comparez bellum-duellum- duen-lum où me paraît être ce contenu ce duonus). Bonus serait donc l’homme de la discorde, du duel (duo), le guerrier : on voit ce qui faisait dans la Rome antique la « bonté » d’un homme.(1)
Ou même à tort :
Le latin malus (que je place à côté du gec mélas) pourrait avoir caractérisé l’homme du commun comme homme de couleur foncée, surtout comme homme aux cheveux noirs (« hic niger est »), puisque l’indigène pré-aryen du sol italique tranche le plus nettement par sa couleur sur la race blonde des conquérants aryens devenus ses maîtres ;(…)(2)
NOTES
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(1)La généalogie de la morale,I.
(2)M. Haar,Nietzsche et la métaphysique, p.116.
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Il est clair que son but en tant que généalogiste, est, se servant de l’étymologie, d’exhiber les conditions de surgissement d’un sens, les raisons de l’attribution d’un nom.
1.1.2 L’origine esthétique du langage et sa condition grégaire.
Haar : « le langage est un instrument d’occultation de l’expérience esthétique dont il est pourtant issu ».
Le langage est la traduction métaphorique dans la sphère apollinienne ( l’apparence) de la « musique dionysiaque », i.e. et de la « mélodie originelle des affects ». Traduction métaphorique, car il y a par trois fois saut d’une sphère à une autre : 1). Excitation nerveuse (= la musique dionysiaque) image. 2) image sensible. Et chaque étape se paie par une réduction du particulier à l’identique, du divers à l’un. Le concept, dernière fabrication, est ainsi appelé le « sépulcre des intuitions ».
1.2 Diagnostic : « la maladie native du langage ».
1.2.1 Le langage réactif
Si le concept n’est qu’une construction humaine, donc complexe et superficielle, comment en est-on venu à croire qu’il était « la simple vue des choses qui se présentent à notre esprit » (Pascal)
C’est parce que la nécessité de vivre ensemble impose 1° une base de communication certaine, et 2° que le groupe en tant que tel se protège de l’irruption chaotique du nouveau, du déstabilisant, du contradictoire. Ce sont ces impératifs qui sont à l’origine des catégories logiques, des lois, des taxinomies et, généralement, de tout ce qui conjure le nouveau en le comparant à du déjà vu. Voilà pourquoi la communauté est un troupeau : parce qu’elle existe à cause de la peur de l’autre qui anime chacun de ses membres. Cette peur qui est au fondement de la vie en groupe, Nietzsche l’appelle "la volonté réactive" :
C’est grâce à l’invention des catégories logiques grammaticales et métaphysiques que triomphe le langage réactif.(...) C’est pour permettre à la volonté réactive de se maintenir que s’inevente la logique, c’est-à-dire la réduction à des "cas identiques". Cette schématisation, cette appropriation imaginaire du réel permet de fuir ses contradictions déconcertantes et de se protéger fictivement à l’abri d’identités stables et rassurantes.(2)
1.2.2 La grammaire, une métaphysique pour le peuple.
Pourquoi un si grossier subterfuge n’at-il pas sauté aux yeux du premier esprit critique venu ? Pourquoi a-t-il fallu attendre l’inevention de la généalogie ?
C’est parce qu’avec la grammaire, les catégories logiques et les concepts se sont logés au plus profond de notre manière de parler, donc déterminent notre manière de penser. On ne pense qu’en terme de sujet, de verbe, d’attribut...Par là, la présence de ces catégories fait comme une tâche noire, et échappe aux esprits les plus fins : même Descartes, ayant décidé de "ne comprendre rien de plus en (ses) jugements, que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à [son]esprit [qu’il n’eût] aucune occasion de le mettre en doute", est resté prisonnier de la grammaire, comme le montre sa "certitude" du cogito. Et comme lui, nous raisonnons d’après la routine grammaticale : "penser est une action, toute action suppose un sujet qui l’accomplit, par conséquent..."(3) De même , "le concept de Dieu se trouve également déduit de la métaphysique implicite de la langue". C’est pourquoi Je crains que nous ne puissions nous débarasser de Dieu, parce que nous croyons encore à la grammaire.(4)
Le langage que nous parlons porte donc inscrit au plus profond de ses codes la peur, l’impuissance , est un lieu de pouvoir, au moins en tant qu’il est une contrainte (cf. les très "nietzschéennes" analyses de Foucault dans l’ordre du discours).
NOTES
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(2)M. Haar,Nietzsche et la métaphysique, p.116.
(3)Par-delà le bien et le mal,(section)17.
(4)Crépuscule des idoles, La "raison" dans la philosophie,(section)5.
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II. La rupture du consensus.
2.1 La polémique
2.1.1 Nietzsche et ses adversaires. "Je ne m’en prends jamais aux personnes,-la personne ne me sert que de verre grossissant qui permet de rendre invisible un état de crise général, mais insidieux, malaisé à saisir"(5). Les adversaires de Nietzsche sont toujours des types.Presque des caricatures.Il s’agit à chaque fois d’une construction rhétorique, qui amène Nietzsche à s’opposer à une figure représentative. Ainsi de Schopenauer et Wagner : En gros de même qu’on saisit une occasion par les cheveux, je saisissais par les cheveux deux personnages typiques, déjà célèbres, et qui pourtant n’avaient pas encore été bien analysés,afin d’exprimer quelque chose, afin d’avoir sous la main quelques formules, signes, moyens d’expression de plus.(6) Avec ce procédé rhétorique, Nietzschese rapproche de Montaigne, qui construit dans ses écrits une "série de relations dialogiques" (Bakhtine) avec les penseurs qu’il cite, et surtout de Pascal, qui (cf. Descotes) lui aussi chercheà représenter les thèses les plus caractéristiques des "personnages" qu’il construit. Mais alors que chez Montaigne ce procédé est celui d’un sceptique- "puisque je ne sais rien, je préfère laisser parler les autres"-, et que pour Pascal il n’est qu’une arme destinée à suppléer les manques de la méthode géométrique, chez Nietzsche la même démarche acquiert une autre dimension : tous ces types sont comme les personnages d’une fiction, c’est-à-dire des types possibles, que Nietzsche teste par la polémique, comme un romancier qui teste des possibilités d’action ou de pensée à travers les personnages qu’il crée. Et Zarathoustra dit : C’est toujours à contre-coeur que j’ai demandé mon chemin, j’y ai toujours répugné. Je préfère interroger les chemins eux-mêmes, et les essayer. Essayer et interroger-c’est ma façon d’avancer...(7) C’est-à-dire que la vérité n’est pas au bout du chemin, mais elle est le chemin lui-même (cf. infra : "Nietzche magister"). Comme le dit Jaspers, elle n’est pas un au-delà du langage, mais l’impulsion animant toute forme de langage. Les chemins dont parle Zarathoustra sont les vérités propre à chaque type de penseur, leur discours, leur pratique du langage. Et la polémique est la confrontation avec ces penseurs, qui teste la validité de leur pensée. Elle est l’épine dorsale d’une "philosophie à coups de marteau".
2.2.1 "Savoir être ennemi".
L’instinct d’agression est la première caractéristique du discours nietzschéen.
Je suis belliqueux de nature. L’agression fait partie de mes instincts . Savoir être ennemi, cela suppose peut-être une forte nature : en tout cas c’est une condition inhérente à toute forte nature.(8) La libération d’un instinct agressif est précisément ce contre quoi lutte la volonté réactive collective, avec ses catégories logiques. La polémique sous toutes ses formes (controverse, raillerie, parodie, trait...) est une expression libre de la volonté de puissance. Ce qu’il ne faudrait pas confondre avec une polémique nietzschéenne relève d’une "saine méchanceté" : saine parce que tout l’intérêt du combat est dans le combat lui-même, pas dans la victoire. Aussi, Nietzsche vise-t-il toujours des adversaires à sa taille : Affronter l’ennemi d’égal à égal-condition première d’un duel loyal.Là où l’on méprise, on ne peut faire la guerre ; là où l’on domine, là où l’on voit quelque chose au-dessous de soi, on n’a pas à faire la guerre.(9) on voit bien que le caractère que le caractère belliqueux de Nietzsche ne le pousse pas à un déchaînement de violence : il accorde au contraire une importance extrême à la maîtrise de cette pulsion, à la mesure. Et c’est justement la rencontre de l’égal qui donne la mesure de sa propre force, et qui permet la transformation d’un instinct sauvage en une forme belle : le grand style.
2.2 Le grand style
Première qualité de l’écrivain de grand style , la richesse intérieure, le bouillonnement des passions ("la première chose qui importe, c’est la vie : le style doit vivre : à Lou Salomé). Le grand style doit faire vivre la "mélodie originelle des affects" :
(5)Ecce Homo, "Pourquoi je suis si sage", (section)7.
(6)E.II., Les "Inactuelles", p.294.
(7)Zarathoustra,"de l’esprit de lourdeur",2.
(8)Ecce Homo,"Pourquoi je suis si sage",(section)7.
(9)Ecce Homo,p.254.
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Un mot sur mon art du style en général Communiquer par des signes-y compris par le tempo de ces signes- un état, ou la tension d’une passion, tel est le sens de tout style : et si l’on songe que la diversitédes états intérieurs est chez moi exceptionnelle, il y adonc chez moi beaucoup de possibilités de styles- l’art de styliste le plus versatilequ’homme ait jamais maîtrisé.(10)
Le mot-clé est celui de maîtrise : le grand style procède de l’ivresse dionysiaque, mais il le maîtrise et aboutit finalementau calme apollinien. (Comme tout langage : un langage dionysiaque expression immédiate des passions, est un non-sens. Mais, alors que l’esprit réactif à l’oeuvre dans le langage commun refoule le dionysiaque, le grand style l’accepte et le sublime : "Il faut avoir un chaos en soi pour donner naissance à une étoile qui danse").
L’aphorisme est l’exemple le plus aboutit de cette sublimation de grand style :
Maîtriser le chaos que l’on est : contraindre son chaos à devenir forme : devenir nécessité dans la forme : devenir logique, simple, non équivoque, mathématique : devenir loi- c’est là la grande ambition.(11) Le principe de l’aphorisme est proche de la détermination leibnizienne : maximum d’effet avec le minimum de moyens. La pensée atteint par là une concentration telle qu’elle se met à rayonner (comme un astre qui atteintune masse critique et devient une étoile) : (L’aphorisme est une) mosaîque de mots où chaque mot par sa sonorité, sa place, sa signification, rayonne sa force, à droite, à gauche, et sur l’ensemble, ce minimum de signes, en étendue et en nombre, atteignant en ce point un maximum dans l’énergie : tout cela est romain et si l’on veut m’en croire aristocratique par excellence ;(12)
Le grand style(et l’aphorisme en particulier) a deux limites asymptotiques. La première est dionysiaque : c’est le chant et la danse, en tant que meilleure traduction humaine de la mélodie originelle des affects. La deuxième est apollinienne : c’est l’architecture classique, en tant que forme durable du calme apollinien. La force du langage qu’invente Nietzscheest de ne pas sacrifier l’un pour l’autre. La volonté de puissance qui trouve à s’exprimer librement dans l’aphorisme est proprement volonté d’être en puissance, d’être en tension : elle réclame la contradiction et le déchirement comme sa réalisation la plus haute.
Conclusion :
Nietzsche est le créateur d’un style nouveau, qui donne au langage un pouvoir exceptionnel : celui d’être ouvertement l’écho de la volonté de puissance qui l’anime. Cette volonté de puissance n’est pas une volonté de conservation : au contraire, Nietzscheva au devant de la folie et de la mort, en recherchant la déchirure tragique, la tension extrême entre le plus bas (la bête) et le plus haut (le surhumain).
Notre langage aussi porte la marque d’une volonté de puissance, même s’il s’en cache : la classe dominante, qui s’arroge "le droit seigneurial de donner des noms" laisse dans ces noms les traces de ses jugements de valeurs. Dans notre société judéo-chrétienne, la classe dominante est celle des prêtres, et leurs valeurs sont l’éternité et la pérennité, et le refus du monde sensible. En outre, le langage est l’instrument de leur domination sur un groupe constitué en troupeau : outre qu’il véhicule leurs préjugés métaphysiques, il contrôle ce qui peut être dit. (Note importante : ne pas confondre cette constatation d’une loi "physique" avec une condamnation morale : les prêtres ne sont pas les "méchants", mais un prsime etc...)
Et finalement un discours comme celui de Nietzsche est soit rejeté parce que jugé incompatible avec les valeurs qui fondent la vie en communauté (Comte-Sponville, Ferry), soit réduit à une philosophie "acceptable" (Heidegger). => Quelle place pour un discours qui assume ouvertement sa force au sein d’un langage qui ne tolère pas d’autre pouvoir que le sien ? Si le langage de la philosophie se fonde sur cette logique réactive que la généalogie a dévoilée, est-il possible de faire une lecture philosophique de Nietzsche ? Etant fidèles aux catégories philoophique, ne dénature-t-on pas Nietzsche ? Et si l’on entre véritablement dans la pensée de Nietzsche, ne sort-on pas de la philosophie ? La pratique nietzschéenne du langage est un cas-limite.
vendredi 1 juin 2007
Nature et culture : les frontières de l'humain
http://www.cite-sciences.fr/francais/ala_cite/college/v2/html/2005_2006/seances/seance_58.htm
L'intelligence et la culture ne suffisent pas à caractériser l'humain. Espèce parmi les espèces, nous partageons avec tous les vivants une histoire commune, des mécanismes communs, que les chercheurs expérimentent de plus en plus finement. Du même coup, qu'il s'agisse de nos gènes, de nos cellules ou de notre cerveau, la connaissance du vivant ouvre de nouvelles perspectives de réparation, de régénération, voire de transformation qui vont bouleverser la pratique et l'éthique de la médecine.
Questions de limites
HENRI ATLAN, directeur d'études à l'EHESS (France), directeur du Centre de recherches en biologie humaine à l'hôpital universitaire Hadassah de Jérusalem
Ce qui rend humain le cerveau humain
Les neurosciences sont-elles à même de comprendre la formation de la conscience ? Nous permettent-elles de spécifier l'humain ?
FRANS DE WAAL, primatologue, directeur du Living Links center, université Emory, Atlanta, USA
- Naturellement culturel : la transmission de la connaissance et du comportement chez d'autres primates
PASCAL PICQ, paléoanthropologue, maître de conférences au Collège de France
- Les frontières de l'humain, entre gènes, culture et évolution
DOMINIQUE LESTEL, éthologue, philosophe, maître de conférences à l'Ecole Normale Supérieure, France
- Comment penser les animaux aux marges de leur espèce?
L'intelligence et la culture ne suffisent pas à caractériser l'humain. Espèce parmi les espèces, nous partageons avec tous les vivants une histoire commune, des mécanismes communs, que les chercheurs expérimentent de plus en plus finement. Du même coup, qu'il s'agisse de nos gènes, de nos cellules ou de notre cerveau, la connaissance du vivant ouvre de nouvelles perspectives de réparation, de régénération, voire de transformation qui vont bouleverser la pratique et l'éthique de la médecine.
Questions de limites
HENRI ATLAN, directeur d'études à l'EHESS (France), directeur du Centre de recherches en biologie humaine à l'hôpital universitaire Hadassah de Jérusalem
Ce qui rend humain le cerveau humain
Les neurosciences sont-elles à même de comprendre la formation de la conscience ? Nous permettent-elles de spécifier l'humain ?
FRANS DE WAAL, primatologue, directeur du Living Links center, université Emory, Atlanta, USA
- Naturellement culturel : la transmission de la connaissance et du comportement chez d'autres primates
PASCAL PICQ, paléoanthropologue, maître de conférences au Collège de France
- Les frontières de l'humain, entre gènes, culture et évolution
DOMINIQUE LESTEL, éthologue, philosophe, maître de conférences à l'Ecole Normale Supérieure, France
- Comment penser les animaux aux marges de leur espèce?
Qu'est ce que la vie?

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La vie est le nom donné :
à un phénomène empirique particulièrement important pour les humains (qui sont eux-mêmes vivants et pour qui les autres êtres vivants ont une place essentielle), mais qui ne se laisse pas facilement définir (cf. infra). Ce phénomène s'oppose à la notion de matière inerte, et s'articule avec la notion de mort ;
à une étendue temporelle, entre la naissance et la mort ;
au contenu en événements ou en actions de cette étendue temporelle, pour un humain ;
à l'approche harmonieuse des relations humaines (voir « question sociale »).
Une des marques de l'hominisation est l'existence de rites funéraires, et donc d'une conscience d'une transition entre la vie et la mort. La vie est un concept primordial qui a donné lieu depuis des temps immémoriaux à de nombreuses réflexions empiriques, philosophiques, scientifiques, etc. C'est également un sujet de débat politique, qu'il s'agisse du traitement accordé aux êtres vivants par rapport aux humains et aux choses inertes (cf. écologisme) ou des considérations sur le début et la fin de la vie humaine (cf. avortement, euthanasie, « vie éternelle »).
Ces réflexions concernent :
la catégorie statique (par opposition à la matière « inerte » ou à l'état de mort) ;
le concept d’évolution (passage de la matière inerte à la vie, développement et dissolution des formes vivantes, mort, création, etc.).
Elles sont toujours liées aux notions d'esprit et d'intelligence. Elles débouchent également sur des réflexions sur l'étendue temporelle et spatiale de la vie (y compris dans l'univers : « vie extraterrestre »). Elles s'interrogent à la fois sur les conditions d'apparition de la vie (phénomène unique ou au contraire très banal) et sur la possibilité d'une vie évoluée (par comparaison à l'humanité, implicitement considérée comme l'achèvement de l'évolution de la vie terrestre) au sein de l'univers.
En science, l'étude de la vie a été appelée biologie. Elle s'est avérée être un développement de la chimie, plus spécifiquement de la chimie organique (à base de carbone), mais les théoriciens n'excluent pas d'adopter des définitions pouvant inclure des formes mécaniques ou électromécaniques, et même des formes créées par l'homme hors de tout processus reproductif naturel (« vie artificielle » ou cellule artificielle).
Sommaire
1 Définitions scientifiques
1.1 La vie comme propriété d’un organisme vivant
1.2 Caractéristiques biologiques d’un être vivant
1.2.1 Caractéristiques au niveau des activités
1.2.2 Caractéristiques au niveau des structures et composés chimiques
1.3 Autres définitions
2 Définitions philosophiques
2.1 Idéalisme et matérialisme
2.2 Une définition phénoménologique
3 Voir aussi
3.1 Articles connexes
4 Notes et références
Définitions scientifiques
Toute définition doit tenir compte de la notion de niveaux d'organisation structurels, d'émergence, d'homéostasie, d'entropie et de métabolisme pour éviter de se retrouver dans une « zone grise », comme pour l'exemple des virus (sont-ils vivants ou non-vivants ?). Les définitions suivantes semblent limiter le nombre de zones grises :
Selon la NASA, est vivant tout système délimité sur le plan spatial par une membrane semi-perméable de sa propre fabrication et capable de s'auto-entretenir, ainsi que de se reproduire en fabriquant ses propres constituants à partir d'énergie et/ou à partir d'éléments extérieurs.
La vie est un état organisé et homéostatique de la matière.
Mode d’organisation de la matière générant des formes diverses, de complexités variables, en interaction et ayant comme propriété principale de se reproduire presque à l’identique en utilisant les matériaux et l‘énergie disponibles dans leur l’environnement auquel elles peuvent s’adapter.
La vie comme propriété d’un organisme vivant
La période s’étendant de la conception à la mort d’un organisme singulier et individuel.
L’organisme est l’objet d’un processus de développement, la vie, qui le conduit en général par étapes d’un état embryonnaire à l’adulte et à la mort.
La graine, la spore, le spermatozoïde ou l’ovule sont aussi des formes du vivant, bien qu’ils n’aient en eux-mêmes ni la forme ni les caractéristiques des êtres vivants qu’ils vont devenir. Il est ainsi difficile d’isoler totalement la vie d’un individu de la lignée à laquelle il appartient. Le vivant nait du vivant : nous ne connaissons pas de vivant émergeant de l'inerte, ce qui rend difficile la reconstitution des étapes prébiotiques.
Caractéristiques biologiques d’un être vivant
Ou comment peut-on affirmer qu’une entité est « vivante » ?
Caractéristiques au niveau des activités
En biologie, une entité est traditionnellement considérée comme vivante si elle présente les activités suivantes, au moins une fois durant son existence :
Développement ou croissance : l’entité grandit ou mûrit jusqu’au moment où elle devient capable de se reproduire ;
Métabolisme : consommation, transformation et stockage d'énergie ou de masse; croissance en absorbant de l’énergie ou des nutriments présents dans son environnement ou en réorganisant sa masse, par production d’énergie, de travail et rejet de déchets ;
Motricité externe (locomotion) ou interne (circulation) ;
Reproduction : pouvoir créer de façon autonome d'autres entités similaires à soi-même.
Réponse à des stimuli : pouvoir détecter des propriétés de son environnement et d'agir de façon adaptée.
Discussion sur ces critères :
Ils ne sont pas tous satisfaits en même temps pour un individu particulier : il faut parfois considérer la lignée ou l’espèce pour qu’ils coexistent (les hybrides stériles sont des êtres vivants) ;
En isoler un ou deux peut conduire à des conclusions erronées : le feu (combustion) assimilable à une digestion, car ce sont deux processus d’oxydation, ne transforme pas le feu en être vivant ;
Parfois, un critère manque : les virus ne grandissent pas, mais certains les considèrent comme vivants puisqu’ils peuvent contenir de l’ADN et être munis de mécanismes (transcription d’ADN en ARN) provoquant leur reproduction dans les cellules hôtes ;
D’autres fois encore, c’est une seule propriété qui est présente et qui se transmet à d’autres entités, comme un mime de la fonction de reproduction (le prion est une protéine, conformée en miroir par rapport à la protéine normale, qui transmet sa propriété pathogène aux autres protéines), etc.
Caractéristiques au niveau des structures et composés chimiques
D’où le besoin, éprouvé par les biologistes, de compléter ces caractéristiques pour réduire ces ambiguïtés :
Les organismes vivants sont composés au moins d'une cellule, c’est-à-dire d’une membrane fermée, séparant un milieu extérieur et un milieu intra-cellulaire, qui contient du matériel génétique;
Les organismes vivants contiennent des molécules telles que : des hydrates de carbone, des lipides, des acides nucléiques et des protéines, toutes à base de carbone ; mais on peut y voir une vision biaisée parce que carbocentrique de la vie. Des formes de vie pourraient en théorie être fondées sur le silicium, mais celui-ci ne présente pas l’étonnante variété de formes et de propriétés du carbone ;
Autres définitions
Pour Francisco Varela et Humberto Maturana, une entité est vivante si :
elle peut se reproduire elle-même ;
elle est basée sur l'eau ;
elle produit des lipides et des protéines (?) ;
son métabolisme est basé sur le carbone ;
elle se réplique grâce à des acides nucléiques ;
elle possède un système permettant de « lire » des protéines.
Cette définition a été largement utilisée par Lynn Margulis.
« Un système de rétrocontrôles négatifs inférieurs subordonnés à un rétrocontrôle positif supérieur » (J. theor Biol. 2001)
Tom Kinch définit la vie comme un système autophage, hautement organisé, émergeant naturellement des conditions ordinaires sur les corps planétaires et qui consiste en une population de réplicateurs capables de muter.
Dans L'aventure du vivant, le biologiste Joël de Rosnay énumère trois propriétés fondamentales :
L'autoconservation, qui est la capacité des organismes à se maintenir en vie par l'assimilation, la nutrition, les réactions énergétiques de fermentation et de respiration ;
L'autoreproduction, leur possibilité de propager la vie ;
L'autorégulation : les fonctions de coordination, de synchronisation et de contrôle des réactions d'ensemble.
Il faut ajouter à ces trois propriétés la capacité des êtres vivants à évoluer.
Définitions philosophiques
Idéalisme et matérialisme
Deux grands groupes de définitions sont discutées depuis les débuts de la philosophie : les conceptions idéalistes qui s’appuient sur une séparation plus ou moins nette entre la matière et la vie (cf. la définition phénoménologique, ci-après) et les conceptions matérialistes qui supposent la vie comme une des manifestations émergentes de la matière.
Historiquement, on peut distinguer deux thèses, sans qu'il soit possible de déterminer si l'une est antérieure à l'autre, d'autant qu'elles peuvent faire l'objet de synthèses variées (les deux thèses cohabitant à des degrés divers au sein de théories plus sophistiquées). On les retrouve dans la pensée grecque antique.
Selon les thèses dites dualistes, la vie est conçue comme fondamentalement différente de la matière : il y a du vivant (spirituel) et de l'inerte (matériel et énergie) comme il y a du fer et de l'eau. La seule difficulté, c'est de « purifier » et « d'isoler » (au sens quasiment chimique) le vivant de l'inerte, séparation d'autant plus difficile qu'elle est, par définition, inaccessible aux méthodes exclusivement matérielles. Ces thèses font appel à des notions diverses : l’âme, le souffle vital, l’élan vital, etc. Cette séparation a donné lieu à diverses théories, comme celle de la génération spontanée, encore vivaces au temps de Pasteur.
Selon les thèses monistes, au contraire, la vie est une manifestation de la matière, une propriété émergente qui apparaît spontanément dans certaines conditions. Il est alors possible de faire varier la définition de la vie selon les conditions qu'on considère comme caractéristiques, ce qui introduit des marges de faux débats (les contradicteurs croyant discuter sur le concept de vie alors que, en adoptant des critères différents, ils s'interdisent a priori tout accord) même si en pratique seuls les objets en marge sont sujet à discussion (les microbes, les virus, les prions, le feu, etc.). La pensée scientifique moderne relève de ce type de thèse, en particulier suite aux expériences de Pasteur sur la stérilisation : tant qu'on n'a pas démontré la nécessité de postuler une dualité, il convient de s'en tenir à l'hypothèse moniste. Même si les étapes de l’apparition de la vie, ou de l'organisation des êtres vivants, restent à expliquer, les lois chimiques connues sont pour l'instant suffisantes.
Les recherches sur les conditions matérielles originelles de notre planète, avec l’espoir de parvenir à croiser ces informations avec celles existant sur d’autres planètes, nous donneront peut-être un jour un ou des scénarios convaincants du passage de la matière inerte à la vie.
Une définition phénoménologique
Le philosophe Michel Henry définit la vie d'un point de vue phénoménologique comme ce qui possède la faculté et le pouvoir « de se sentir et de s'éprouver soi-même en tout point de son être ». Pour lui, la vie est essentiellement force subjective et affectivité, elle consiste en une pure expérience subjective de soi qui oscille en permanence entre la souffrance et la joie. Une « force subjective » n’est pas une force impersonnelle, aveugle et insensible comme le sont les forces objectives que l’on rencontre dans la nature, mais une force vivante et sensible éprouvée de l’intérieur et résultant d’un désir subjectif et d’un effort subjectif de la volonté pour le satisfaire. Il établit également une opposition radicale entre la chair vivante douée de sensibilité et le corps matériel, qui est par principe insensible, dans son livre Incarnation, une philosophie de la chair.
Le mot « phénoménologique » se réfère à la phénoménologie, qui est la science du phénomène et une méthode philosophique qui se réduit à l'étude des phénomènes tels qu'ils apparaissent. Ce que Michel Henry appelle la « vie phénoménologique absolue » est la vie subjective des individus réduite à sa pure manifestation intérieure, telle que nous la vivons et que nous la sentons en permanence. C'est la vie telle qu'elle se révèle elle-même et apparaît intérieurement, son autorévélation : la vie est à la fois ce qui révèle et ce qui est révélé.
Cette vie phénoménologique est par essence invisible parce qu'elle n'apparaît jamais dans l'extériorité d'un voir, elle se révèle en elle-même sans écart ni distance. Le fait de voir suppose en effet l'existence d'une distance et d'une séparation entre ce qui est vu et celui qui le voit, entre l'objet qui est perçu et le sujet qui le perçoit. Un sentiment par exemple ne se voit jamais de l'extérieur, il n'apparaît jamais dans « l'horizon de visibilité » du monde, il se sent et s'éprouve de l'intérieur dans l'immanence radicale de la vie. L'amour ne se voit pas, pas plus que la haine, les sentiments se ressentent dans le secret de notre cœur, là où nul regard ne peut pénétrer.
Cette vie est composée de la sensibilité et de l'affectivité, elle est l'unité intérieure de leur manifestation, l'affectivité étant cependant l'essence de la sensibilité comme le montre Michel Henry dans son livre sur L’essence de la manifestation, ce qui signifie que toute sensation est affective par nature. La vie phénoménologique est selon Michel Henry le fondement de toutes nos expériences subjectives (comme l'expérience subjective d'une tristesse, de la vision d'une couleur ou le plaisir de boire de l'eau fraîche en été) et de chacun de nos pouvoirs subjectifs (le pouvoir subjectif de bouger notre main ou nos yeux par exemple).
Pour davantage de précisions sur la vie phénoménologique, voir l'article sur la Philosophie de la vie, ainsi que celui sur la Vérité (partie consacrée à la Vérité de la Vie).
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