mercredi 4 juin 2008

un GPS pour révisions

Plein d'autres cours dans la rubrique "cours exos photos", dont celui sur l' Etat, Droit et Justice!

COURS :La démonstration

La Démonstration
A. Preuve, Thèse, théorie et démonstration

Dans la démonstration on s’adresse à tous les esprits, en montrant la nécessité d’un passage : on descend de ce qui est certain, évident ou déjà démontré à ce qui peut en être déduit de manière rigoureuse.
La preuve : dans la preuve on s’attaque au doute d’une personne en s’efforçant de produire un fait qui mette fin à son doute .Le fait ici est une accumulation d’observations concordantes.
On montre la valeur d’une thèse en développant, dans un raisonnement bien construit, les arguments qui en donnent la justification rationnelle, c'est-à-dire les raisons qui la supportent. Une thèse n’est pas comme une idée claire et distincte, qui s’imposerait dans son évidence, de manière intuitive ; une thèse nécessite une argumentation.
Une thèse a besoin de montrer quelle est sa pertinence, et cela n’est possible que dans une démarche discursive. (qui repose sur le raisonnement).L’argumentation suppose toujours un raisonnement, une exposition logique.
Exemple : La thèse de Darwin selon laquelle l’évolution des espèces repose sur un processus de sélection naturelle du plus apte n’a rien d’évident. Au contraire, au titre d’une explication du phénomène vivant, elle ne constitue jamais qu’une hypothèse parmi d’autres et qui reste discutable. Il faut que Darwin déploie tout le dispositif argumentatif de L’origine des espèces pour parvenir à en montrer la valeur. Cela implique que soient explicités les principes adoptés par Darwin et que soit apporté une accumulation d’observations concordantes, - des preuves - pour produire une conviction rationnelle.
Dans les sciences, à partir du moment où une thèse reçoit une mise en forme rationnelle cohérente dans des principes, des hypothèses, des lois, elle est considérée comme une théorie.
On dit la théorie de l’évolution de Darwin. On dit la théorie de l’inconscient de Freud, , la théorie des climats de James Lovelock. On dit selon les thèses de Newton, de Darwin, de Freud, de Lovelock etc. on peut expliquer cet état de fait en disant que...
La thèse tend à montrer la pertinence d’une explication plausible (qui peut passer pour vrai) d’un phénomène. Dans le contexte qui est le nôtre, l’usage du terme « théorie » est devenue spécifique au domaine de l’approche objective de la connaissance. Il est d’usage de servir du seul mot « thèse » dans un sens plus large, pour désigner l’élaboration analytique conduite dans un système philosophique. On dit « les thèses de Marx concernant l’aliénation du travail », « les thèses de Spinoza sur la nature du désir », « les thèses de Bergson concernant la nature du temps » etc.
On peut se demander si la différence entre l’emploi du mot « théorie » dans le contexte des sciences et de celui de « thèse » en philosophie renvoie à une séparation réelle.
Théorie vient du grec théoria, qui implique vue de l’esprit. Il y a dans toute philosophie une théoria.
Ce qui est commun à une thèse et à une théorie, c’est qu’elles se présentent avec une argumentation qui exhibe les raisons qui fondent leur point de vue.
L’opposition réelle se situe entre ce qui est argumenté et ce qui ne l’est pas, entre ce qui n’a pas de justification et ce qui en reçoit.
On peut marquer une différence entre une simple opinion et une thèse. Une thèse est argumentée, une thèse n’existe pas sans un corps de propositions qui permettent de la justifier, tandis qu’une opinion, on l’a, sans trop savoir pourquoi. C’est du genre « moi je pense que » ! Et si on demande pourquoi ? Ce « moi » ne sait plus trop quoi répondre. Dans l’opinion, nous n’avons pas de justification sérieuse, notre savoir est surtout de l’ordre du ouï-dire et pas de l’ordre d’une justification rationnelle précise, ou d’une perception de la vérité que nous pourrions expliciter dans un discours convaincant.
Dans le processus des constructions de l’intellect, il n’y a pas à distinguer en quoi que ce soi une argumentation « scientifique » et une argumentation « philosophique ». Elles se rangent dans le même genre, celui d’un essai de construction intellectuelle rigoureuse, s’opposant à l’opinion en général. Il n’y aurait aucun sens à vouloir les distinguer, car ce genre de fragmentation serait purement illusoire. Il y a l’argumentation rationnelle et un point c’est tout.
Distinction argumentation/ démonstration : Mais alors quelle est donc la différence entre une argumentation et une démonstration ?
Selon le Dictionnaire Lalande, « une démonstration est une déduction destinée à prouver la vérité de sa conclusion en s’appuyant sur des prémisses reconnues ou admises comme vraies ». La démonstration a deux points d’appui fondamentaux : celui de la logique, celui de la consistance du système dans lequel elle se déroule.
Exemple :A l’intérieur du système de la géométrie d’Euclide, on peut démontrer que la somme des trois angles d’un triangle forment 180°, équivalent à deux droits. On dresse pour cela des parallèles aux côtés du triangle, on examine les équivalences des angles alterne/internes et on démontre qu’effectivement la proposition « les trois angles du triangle font deux droits » est nécessairement vraie. Dans un système où les axiomes sont différents, par exemple dans la construction de la géométrie convexe de Riemann, cette propriété ne sera plus vraie, les trois angles font moins que 180°. Comme le triangle dessiné sur un ballon a des angles plus aigus. Une démonstration se déroule donc sur un plan beaucoup plus abstrait qu’une argumentation. Une démonstration est formelle. Elle ne sort pas du contexte du système logique dans laquelle elle prend place. Elle peut être correcte ou incorrecte, mais seulement par rapport aux règles d’inférence du système qui la soutient. Le professeur de mathématique fait très bien la différence entre une démonstration correcte et une démonstration incorrecte. Il maîtrise en effet les règles d’inférence du système.
Dans la pratique, une démonstration prend dès lors souvent la forme d’un calcul, le calcul étant justement l’application d’une règle opératoire à l’intérieur d’un système. Pour ces différentes raisons, il est d’usage de rattacher l’usage rigoureux de la démonstration à la logique et aux mathématiques, tandis que l’on replacera l’argumentation dans l’ordre concret des faits, dans l’ordre de la vérité matérielle, les mathématiques demeurant sur le plan des idéalités, dans le champ de la vérité formelle.
Parce que dans la démonstration la puissance de la logique se trouve libérée de toute entrave, de toute référence avec la nécessité de consulter des faits pour savoir si ce que l’on dit est vrai, la démonstration emporte avec elle une force que n’a jamais l’argumentation. La démonstration fournit des preuves contraignantes, l’argumentation, elle, ne fait que préciser les raisons en faveur ou contre une thèse déterminée.
Dans la démonstration, l’esprit est obligé de plier, de s’incliner et il ne peut pas se dégager.
Ce qui est agaçant, car cela vaut pour tous les principes, des axiomes mathématiques, aux principes de la logique, jusqu’aux principes des systèmes les plus dogmatiques… y compris ceux des sceptiques !
La vertu de la démonstration, telle que la déploie un professeur de mathématique en cours, c’est d’habituer l’élève à une rigueur qui l’oblige à suivre le fil de la logique, de ne plus procéder par association d’idées. La démonstration est un modèle d’objectivité. La vertu de la démonstration est d’obliger l’esprit à s’émanciper de toute opinion ou vue trop subjective, au sens le plus vague du terme.
La contrainte logique de la démonstration nous oblige à abandonner nos opinions personnelles, nos vues fantaisistes, pour nous soumettre à un système et à sa la logique. La démonstration est une école de formation intellectuelle en ce sens. Elle nous apprend l’impartialité. Elle nous oblige à reconnaître la vérité comme ce qui est indépendant de nos opinions personnelles, comme ce qui est valide pour tout esprit rationnel. Mais attention, cela doit s’entendre dans un sens qui n’est pas intuitif, car tout processus de démonstration est discursif, c’est-à-dire repose sur le raisonnement. La démonstration nous demande de nous situer d’emblée sur le terrain d’un auditoire universel, celui de la communauté des esprits capables de reconnaître la validité d’un savoir objectif.
Le programme de l’approche objective de la connaissance de la science moderne a été d’emblée défini par le modèle de la démonstration mathématique. Le génie de Descartes et de Galilée est d’avoir mis en place une méthode dans laquelle l’univers est considéré comme un livre écrit en langage mathématique. C’est un programme très ambitieux, qui a conduit a des résultats immenses, mais qui sur le fond soulève une difficulté : est-il possible de soumettre la réalité dans son ensemble à un système unique et à l’arraisonnement de notre logique ?
La science moderne, avec Galilée et Descartes a effectivement cru qu’il serait possible de confondre la description du réel en langage mathématique avec le réel lui-même. Le mode d’exposition de la démonstration mathématique est devenu le paradigme d’une science achevée, si bien que l’on tentera de l’étendre à toutes les sciences. Descartes le montre très clairement dans le Discours de la méthode.
Le contenu des quatre règles de la méthode est immédiatement familier à un mathématicien.
• La première règle pose le principe de l’évidence dans la recherche de la vérité. Je ne dois me fier à l’égard des idées qu’à celles qui s’imposent à moi avec clarté et distinction. Ici, Descartes ne pense pas à l’évidence intuitive du je suis, ce qu’il a en vue, ce sont les natures simples des mathématiques, le nombre, le point, la ligne, comme concepts. Descartes admet que les objets mathématiques sont des idées claires et distinctes et qu’à ce titre, ils comportent une évidence .
• Dans la seconde règle, se rencontre le principe de la division d’un problème en parties.
• La troisième règle pose le principe de l’ordre des raisons qui commande de regarder tous les objets de la pensée comme reliés par une trame logique. La quatrième règle pose le principe du dénombrement pour éviter toute omission.
Le paragraphe qui suit l’énoncé de ces quatre règles montre à quel point la démonstration devrait, dans le programme de la science moderne, se décalquer sur toutes les formes de savoir humain. « Ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir, pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m’avaient donné occasion de m’imaginer que toutes les choses, qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes, s’entre-suivent en même façon ». Les deux seules conditions pour que l’approche objective de la connaissance soit étendue à la totalité du savoir, c’est que 1) que nous prémisses soient toujours assurées de leur vérité, 2) « et qu’on garde toujours l’ordre qu’il faut pour les déduire les une des autres ».
Descartes est préoccupé par l’édification d’un système du savoir et la science est un savoir en forme de système dont le modèle lui vient des mathématiques. Car, « entre tous ceux qui ont ci-devant recherché la vérité dans les sciences, il n’y a eu que les seuls mathématiciens qui ont pu trouver quelques démonstrations, c’est-à-dire quelques raisons certaines et évidentes ».
Dans l’idéal en effet, il serait souhaitable que l’esprit ne considère comme rationnelle que les démonstrations ayant recours à des idées claires et distinctes, aussi claires et distinctes que les notions mathématiques. La science devrait se constituer comme un système formel dans de longues chaînes de raisons semblables à celles dont les géomètres font usage dans leurs démonstrations. Le fil directeur de Descartes, c’est que la Nature est écrite en langage mathématique. Dans le droit sillage de Descartes, Spinoza dans l’Ethique fera une exposition géométrique de son système qui force encore l’admiration. Dans le même ordre, les célèbres Principia de Newton, isolés du reste de son œuvre, resteront pendant longtemps un modèle de rigueur et un modèle en tant que dérivé directement du modèle de la démonstration mathématique.

B. Démonstration et argumentation

Cependant, à y regarder de plus près, dans le Discours de la méthode Descartes a clairement conscience que si, dans la théorie, nous ne devrions ne nous fier qu’à la force de la démonstration et à l’évidence, cependant, dans la pratique, nous devons souvent nous contenter du probable, accepter l’incertain et tout de même raisonner.
Le modèle de la mathesis universalis est limité. C’est ce qui explique le ton, très différent des règles de la méthode, des maximes de la morale dite provisoire de Descartes. Dans le domaine de l’action, nous ne pouvons différer indéfiniment et nous ne exiger des évidences avant de décider. L’action juste exige le plus souvent une réponse rapide. S’il fallait se décider après démonstration des raisons d’agir, nous resterions cloués sur place la plupart du temps. Quand il y a un choix à opérer, il faut bien qu’il y ait délibération et délibération dans un ordre de pensée qui n’est pas évident et se situe dans l’opinion. Comme le voyageur perdu dans la forêt, autant ne pas tourner en rond et prendre une opinion droite, sensée à titre de guide. Ainsi, « lorsqu’il n’est pas en notre pouvoir de discerner les plus vraies opinions, nous devons suivre les plus probables ». Si la morale se passe de démonstration, il en est aussi de ce qui relève de la politique, des jugements du droit ou même de la religion. Il faut laisser une place à un ordre de discours qui relève plus d’une raison pratique que théorique. Or il y a un mode de raisonnement qui relève du domaine de la probabilité plus que de la certitude assurée, c’est celui de l’argumentation. Dans le champ de ce qui est seulement probable et incertain, nous ne pouvons que laborieusement construire, avec l’aide d’autrui, un accord des esprits avec le patient travail de l’argumentation.
L’argumentation n’est pas moins rationnelle que la démonstration. Elle ne se situe pas dans le même domaine de la pensée. Elle a sa place dans le champ de l’incertitude où se déploie la subjectivité. Dans la complexité concrète du réel, l’incertitude est grande, un système unique n’est pas de mise et il y a place pour des points de vue différents.
Disons que l’argumentation a sa place et sa valeur là où doit intervenir une délibération, quand rien ne s’impose avec nécessité et évidence.
La Démonstration : elle est le produit d’un acte mental qui a pour finalité d’établir la vérité d’une proposition en la déduisant de propositions antécédentes qui paraissent évidentes ou démontrées.
Le raisonnement déductif : fait circuler l’évidence d’un point de départ admis à une proposition dont on veut établir la vérité.

Le Problème du point de départ ou les limites de la démonstration
Si c’est un point de départ il ne peut être démontré car il n’y a rien avant lui dont on puisse le déduire (s’il y avait qq. chose ce ne serait pas le point de départ !)
(ex : postulats d’Euclide).
Le point de départ doit donc être évident. Mais l’évidence est toujours de l’ordre de la preuve et peut toujours être discutée ou contredite (ex : les géométries non euclidiennes).
Voilà pourquoi toute mathématique s’appuie sur une axiomatique, cad un ensemble de propositions qui doivent être admises dès le début : en douter reviendrait à jeter le doute sur toutes les déductions qui se déroulent à partir d’elles. On dira que les mathématiques sont hypo-déductives au point de ne plus parler que de validité et d’abandonner le terme de vérité.
Démontrer c’est donc établir par déduction, à partir d’une définition admise, que l’on doit nécessairement tenir pour valide.
Serait-il possible de partir de définitions établies et non pas simplement admises ?
Il faudrait que la définition résulte d’une enquête en produisant un résultat qui s’applique, s’ajuste parfaitement à toues les manifestations de l’objet que l’on cherche à définir.
Or ce n’est possible que lorsque l’objet a été engendré par une définition. Mais ici la définition vient après l’objet.
Dans ce cas l’enquête serait infinie et la définition trjrs ouverte et à l’infini.
Limites de la démonstration : en un sens la démonstration ne démontre rien de plus que ce qui a été d’abord admis dans les prémisses ou point de départ.
Parce que le point de départ de la démonstration s’appuie sur l’évidence, en mathématique on consent par volonté ou adhésion à un point de départ plus que par science certaine.
Toute vérité sera donc nécessairement hypothético-déductive .

COURS : l'interprétation.

L’interprétation

On peut interpréter toutes sortes d’objets : on dit d’un pianiste en concert, qu’il a donné une interprétation magistrale de la Tempête de Beethoven. On dit d’un juge confronté à un cas difficile qu’il doit interpréter un texte de loi. On disait autrefois de l’oracle qu’il interprétait les signes, comme en Grèce les cris de la pythie à Delphes, ou à Rome les entrailles des animaux sacrifiés. Dans l’astrologie, on interprète la position des planètes. Chez nos médiums modernes on interprète les cartes du tarot ou les lignes de la main, les nombres etc. La psychanalyse freudienne n’est pas en reste, puisqu’elle propose une méthode d’interprétation du rêve. De même, il est possible de se livrer à une interprétation d’un poème, d’un conte.
Le champ de l’interprétation est donc très vaste et il est possible que le même objet reçoive plusieurs interprétations différentes. En comparaison, l’explication scientifique parait plus carrée, elle est vraie ou fausse et c’est tout. Une interprétation ne se distingue d’une autre que par sa pertinence, sans la chasser pour autant. La question se pose de savoir s’il peut y avoir dans l’interprétation une quelconque rigueur. Dans le domaine de l’interprétation, sommes-nous livrés à l’arbitraire ? Qu’est-ce qu’une erreur d’interprétation ? Comment distinguer une bonne interprétation d’une mauvaise ? Pour répondre à ces questions, il est indispensable de préciser quel est le statut de l’interprétation. Qu’est-ce qui donne à une interprétation sa pertinence ?
A. L’objet de l’interprétation
Toute interprétation est interprétation de quelque chose, comme toute conscience est conscience de quelque chose. Quel est donc l’objet sur lequel peut porter une interprétation ?
La signalétique dispose sur les routes des signaux. Un signal doit le plus possible convoquer le réflexe et le moins possible la réflexion. Il est important que l’automobiliste ne prenne pas un temps pour interpréter, mais réagisse rapidement. Un signal, dans l’idéal, ne doit pas avoir besoin d’être interprété, par contre un signe oui. Au signal est attaché un comportement, au signe est attaché un sens. Ce que nous interprétons, c’est tout ce qui peut être considéré comme un signe doué de sens. Mais ce n’est pas tout, puisque certains signes tels que les signes mathématiques, ne font pas non plus l’objet d’une interprétation. Un signe mathématique est en effet univoque, or ce qui est interprété, c’est au contraire ce qui est équivoque. Nous interprétons là où il y a une ambiguïté ou une obscurité, et non pas là où une idée présentée dans un signe est claire et distincte. Je peux interpréter un geste de la main en me demandant si c’est un geste amoureux ou un geste indifférent. Je ne vais pas interpréter l’ordre de l’agent
Interpréter, c’est en quelque sorte vouloir déchiffrer le réel en le considérant comme un ensemble de signes qui ne comportent pas de caractère d’évidence suffisant.
C’est voir le monde comme un puzzle où les pièces ne sont pas arrangées correctement pour que l’ensemble ait un sens. On interprète d’abord ce qui est chaotique, et pas ce qui est ordonné. En bref, on interprète ce qui comporte de l’inexplicable, du mystère, de l’étrangeté, ce qui résiste aux définitions, ce qui ne se range pas dans des catégories tranchées, mais garde en première lecture un caractère paradoxal.
Qu’est-ce qu’une bonne interprétation ? C’est une avant tout une lecture satisfaisante des signes, ce qui suppose que nous avons entre nos mains une grille d’interprétation permettant de transposer un langage de signe dans un autre plus rationnel et plus clair.
Interpréter, c’est donc mettre à découvert l’implicite, aller vers l’élucidation d’un objet qui d’abord se refuse. On dit parfois d’une œuvre qu’elle résiste à l’interprétation. Ce qui signifie qu’il n’est pas aisé d’élucider son sens, de déchiffrer son mystère. Pourtant, avec toutes les précautions nécessaires, il doit être possible de restituer le sens qui existe bel et bien, indépendamment du travail de l’interprète. L’interprète doit parvenir à s’effacer devant le sens qu’il découvre. Mais, curieusement, interpréter a aussi un autre sens, celui de jouer une œuvre. On interprète une pièce de théâtre, ou un morceau de musique, ce qui veut dire que l’acteur ou le musicien déploie l’œuvre à partir de sa propre subjectivité. Ce qui requiert le contraire de l’effacement, l’implication totale du sujet. Il y donc dans le travail l’interprétation la tension d’un paradoxe : à la fois la nécessité d’une désimplication pour ne pas altérer, déformer, mais restituer fidèlement ce que l’on interprète, et d’un autre côté, pas d’interprétation sans une profonde implication, sans le jeu de la subjectivité qui s’empare amoureusement de son objet et le joue.
B. Ce qui est projeté, ce qui est compris
Examinons en quoi l’interprétation peut devenir délirante. Nous verrons mieux ensuite par contraste ce qui fait une interprétation sensée.
Que disons-nous des gens superstitieux ? Qu’ils passent leur temps à interpréter la réalité en y projetant leurs peurs. Si je fais une fixation quasi-obsessionnelle sur l’idée que je suis victime d’un complot et que le danger est là partout autour de moi, il est évident que j’aurai tendance à voir partout des « signes » avant-coureurs des menaces dont je suis l’objet. Les trois corbeaux qui sont passés devant la voiture ? Mauvais signe ! La mort rode autour de moi. Le chat noir vu au matin ? Un malheur va m’arriver etc.
Le mental qui est hanté par la peur réplique sa confirmation dans la soi-disant « reconnaissance » de signes extérieurs qui la confirment. Il interprète constamment la perception dans un sens orienté de manière précise, orienté par ses propres projections. Tant que la projection domine l’interprétation, il y a peu de chances qu’elle ait une quelconque valeur. Elle n’est qu’une construction mentale d’un esprit abusé par sa propre production d’illusion. L’illusion naît quand le mental surimpose à la perception une représentation qu’il tire de son propre fond et qu’il ne voit plus qu’elle. L’illusion prolifère sur le terrain de l’inconscience dans laquelle le mental déploie ses propres créations, sans se rendre compte qu’il en est l’auteur, que ce qu’il prétend « voir », n’est jamais que le jeu de ses projections. Je vois le serpent là où il n’y a en réalité qu’une corde. J’interprète la forme sinueuse comme un serpent, alors qu’il n’y a que la corde. La surimposition du serpent sur la corde n’est que l’opération de mon propre esprit qui a donné une forme à ma peur, ou plutôt qui a surimposé la forme à partir de ses peurs. Si on ôte la base émotionnelle, si la peur est absente, il ne peut y avoir de surimposition de la peur et donc pas d’interprétation terrifiée de la réalité. Dès l’instant où l’émotionnel entre en jeu et occupe à lui seul le champ de conscience, il se réplique lui-même dans une interprétation hallucinée du réel. Une illusion est toujours une interprétation.
La psychopathologie connaît bien les formations extrêmes de ce pli du mental dans les délires d’interprétation. L’exemple le plus remarquable est le délire paranoïaque. Dans la paranoïa, le sujet est enfermé dans une bulle de constructions mentales nouées dans la peur. Dans la relation avec autrui, les détails des expressions vont très rapidement prendre la valeur de « signes » auxquels le sujet attache la plus grande importance, persuadé qu’ils le concernent en propre. Comme le superstitieux, le paranoïaque voit des « signes » partout.
C. L’art de l’interprétation
On appelle herméneutique, l’art d’interpréter, pour autant qu’il est commandé par la reconnaissance d’un sens caché sous le sens apparent, cela peut être la parole d’un dieu, la manifestation d’un signe, l’expression humaine d’un geste ou d’un mot, en bref, on interprète tout ce qui peut avoir un sens pour un être humain.
L’interprétation, suppose qu’une seule lecture ne suffit pas pour que le sens soit compris et que, précisément, la lecture doit être redoublée dans une interprétation pour être satisfaisante. Mais tout dépend dans la manière d’interpréter de l’investissement de la subjectivité avec elle-même dans l’interprétation, c’est-à-dire de l’expérience dans laquelle elle se déroule.
Interpréter, ce n’est pas seulement répliquer ce que la mémoire nous donne déjà, interpréter c’est partir de l’étonnement et de la rencontre et laisser en quelque sorte à l’intelligence sa liberté et son aptitude à saisir ce de manière intuitive ce qui se donne à elle.
Comme le travail de l’interprétation ne se déroule que sur le terrain de la pure subjectivité, on peut toujours se demander s’il peut y avoir une part d’arbitraire dans la valeur de ses constructions.
Il y a une éthique de l’interprétation qui est une éthique de la fidélité. L’éthique de l’interprétation exige le respect de l’esprit de l’œuvre, sinon, c’est à une dénaturation complète que se livre l’interprète. On voit mal comment on pourrait trouver dans La République de Platon, ou dans L’Ethique de Nicomaque un manifeste pour la lutte des classes, façon Marx. Vouloir tirer de force Les confessions de Rousseau du côté de la psychanalyse de Freud, c’est tout de même abuser de l’interprétation, ce qui revient le plus souvent à lui imposer une grille d’interprétation qui lui est étrangère. L’éthique de l’interprétation commande de revenir aux choses-mêmes, ce qui signifie revenir ici revenir directement à l’œuvre pour la laisser parler en nous au lieu de lui imposer un discours que nous voudrions par avance lui faire tenir. En philosophie, l’exigence tiendrait dans une consigne : revenir au texte, revenir à Platon, à Epictète, à Plotin dans le texte, en écoutant ce que le texte peut nous dire, dans une redécouverte, en acceptant par avance d’avancer dans l’inconnu.
L’interprétation n’est pas un exercice réservé aux doctes et aux érudits gentiment confinés dans leur étude. Elle décide de notre vision du monde. Elle est d’une importance considérable en matière d’autorité religieuse. Au temps de l’Inquisition on a torturé et massacré pour des questions d’interprétation. Nous ne devons pas l’oublier en ces temps où l’exaspération religieuse peut conduire à des débordements graves (cf interprétation fantaisiste et abusive du Coran à des fins immorales).
Ce qu’il faudrait examiner plus avant, c’est la manière dont le mental fonctionne dans l’interprétation et surtout la différence entre le voir lucide et le jeu psychologique de l’interprétation. La lucidité est une retenue de l’interprétation qui tend à ramener l’esprit à l’observation de ce qui est. Il faudrait explorer de très près le jeu du mental dans la vigilance et notamment discerner comment, l’émotionnel prenant un empire exclusif, l’esprit se met à surinterpréter le monde.
Le travail de l’interprétation est difficile. Il demande une ouverture de l’intelligence, de l’humilité, mais en même temps, il exige un épanchement libre de l’esprit, une passion sans motif. Il n’y a pas d’interprétation sans enthousiasme, pas d’enthousiasme sans pathétique, pas de pathétique sans passion, pas de passion sans un embrasement que l’on rencontre autant en soi-même qu’en l’œuvre qu’il s’agit d’interpréter.

Cours VERITE.Philosophie : le passage de l'opinion à la vérité.

Qu’est ce que la Philosophie ?


POUR REPONDRE A CE QUI EN CONSTITUE LA NATURE MEME, IL EST NECESSAIRE DE L ENVISAGER SELON UN ANGLE A LA FOIS HISTORIQUE ET ETYMOLOGIQUE.
Introduction :
La naissance de la Philosophie se situe dans la Grèce antique au Ve av J.C avec Socrate, personnage énigmatique et fascinant.
Rem : avant Socrate il y avait déjà au des penseurs ayant acquis de la notoriété, ce qui est le cas de Pythagore. C’est d’ailleurs ce fameux Pythagore, qui a donné son nom au théorème, qui appela philosophoi (amis de la sagesse), ceux qui s’intéressaient à la nature des choses.
En effet, le mot philosophie vient du grec ancien, de philosophia qui se compose de philein (aimer ) et de sophia (sagesse).
La philosophie est donc d’un point de vue étymologique l’amour de la sagesse.
Question :Mais que signifient ces termes ?
L’amour ici ne désigne pas la contemplation, la béatitude, mais signifie désir, aspiration à quelque chose.

Csque : si le philosophe aspire à la sagesse, c’est que celle-ci lui manque, qu’il ne la possède pas, le philosophe n’est donc pas un sage.

Question : mais qu’est ce alors que la sagesse ?  Il ne s’agit pas seulement ici de la vertu qui consiste à faire preuve de modération et de mesure dans ses actes :
 Il ne s’agit pas non plus de la pratique de celui qui par expérience sait comment s’orienter dans l’existence.

La sagesse pour les grecs anciens (et c’est ce sont parle ici Pythagore) désigne principalement la science, c'est-à-dire le savoir en général.Attention : cependant ce savoir n’est pas étranger à la notion de vertu dans la mesure où la sagesse dont il est question ici désigne une science qui nous rend plus savants et donc plus vertueux.

Le philosophe n’est donc pas le possesseur de la science et de la vertu, mais un homme en quête de vérité, qui cherche à mieux comprendre ce que sont les choses et à devenir meilleur.
Question : en quel sens la connaissance de la vérité des choses nous permettrait de devenir meilleur et plus vertueux ?
Réponse : parce que la connaissance de la vérité nous permet de mieux nous réaliser en tant qu’être doué de conscience et de raison.Il apparaît difficile de prendre les décisions justes, d’adopter une conduite vertueuse si l’on ne peut déterminer le vrai du faux .

C’est précisément ce que cherche Socrate, que l’on considère comme le fondateur de la philosophie, et tous penseurs en quête de vérité.

Demander aux élèves d’expliquer cette Citation de Socrate : « tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien, tandis que les autres croient savoir ce qu’ils ne savent pas «.

Cette formule s’adresse au conformisme intellectuel de la grande majorité des hommes qui se satisfait d’opinions sans réel fondement (les oui dires) et aux sophistes qui dans la Grèce antique et plus particulièrement à Athènes prétendaient tout savoir.
Ainsi, pour l’homme du commun, cad l’homme de l’opinion, tout est toujours objet de certitude, et pourtant si l’on tente d’approfondir le contenu et la nature de l’opinion, celle-ci s trouve confrontée à ses faiblesses et sa fragilité.

La méthode socratique, de cette méthode ne nous reste que les écrits de son disciple Platon.
C’est une méthode de réflexion fondée sur le dialogue et ayant pour but, non pas d’inculquer telle ou telle idée, mais de faire en sorte que chacun prenne conscience du bien fondé ou non et de la valeur de ses propres opinions.
Ainsi Socrate examine les thèses de ses interlocuteurs et par le questionnement met en évidence leurs faiblesses et insuffisances.
A la différence des orateurs politiques Socrate ne cherche pas à défendre un thèse par tous les moyens, son but n’est pas de convaincre son interlocuteur mais de susciter interrogation et réflexion.


La philosophie se définit donc avant tout comme une discipline, une réflexion et comme une méthode.

 Discipline au sens où elle est recherche d’un savoir , interrogation méthodique de la pensée sur elle-même, réflexion qui nécessite une stricte rigueur intellectuelle.De la même manière qu’un raisonnement mathématique vise à résoudre une question en posant un raisonnement strict, aboutissant à une vérité.
 Réflexion : étymologiquement ce terme désigne l’action de se retourner en arrière.
Qu’est ce que cela veut dire ? Il s’agit d’un retour de la pensée sur elle-même, d’une interrogation de l’esprit sur le contenu de ses pensées, d’un examen de ses propres pensées par le sujet : sont elles cohérentes ? Ne contiennent elles pas des contradictions ?il s’agit donc en quelque sorte d’un dialogue de la pensée avec elle –même.
La philo n’est pas un savoir mais un cheminement vers le savoir, qui ne peut être satisfait que par le respect d’une méthode.

 Méthode
Etymologiquement, chemin vers.
Une méthode est donc un cheminement orienté vers un but. Dans le domaine de la recherche c’est un ensemble de procédés et de règles qu’il faut suivre avec rigueur et ordre pour parvenir au résultat que l’on s’est fixé (la connaissance de la vérité). On parle de méthode scientifique, mathématique, philosophique.
Attention : une méthode n’est pas une recette, un ensemble de règles qu’il faudrait suivre mécaniquement et qui permettraient de faire l’économie de la pensée personnelle.
Un effort de réflexion, de jugement est toujours nécessaire pour adapter la méthode aux pbs spécifiques que l’on doit traiter.

Conclusion : la philo ne se définit pas comme un savoir constitué, mais comme la recherche du savoir, elle est une démarche de la raison s’interrogeant sur elle -même, sur ce qu’elle sait et peut savoir.
C’est le propre de toute démarche qui cherche à déterminer la vérité et la nature des choses, on fait donc de la philosophie dès qu’on s’interroge sur la nature et réalité des choses (qu’est qu’être juste ? qu’est ce que l’homme ? qu’est ce que l’univers ? la matière ?).

Nous l’avons vu, penser, s’interroger, se questionner, c’est mettre à distance, cad dépasser qq chose.

Question : dépasser, mettre à distance quoi ?
Ce que l’on pense en premier lieu
A priori
Sans réflexion

Cad nos opinions

I L’OPINION

Nous avons tous un certain nombre d'opinions relatives à différentes choses. Nous avons notre avis sur un grand nombre de choses et nous tenons à ces avis.
Or dès que nous réfléchissons, nous les remettons implicitement ou explicitement en question.
Si nous désirons les dépasser, ça veut dire qu’il manque qq chose à l’opinion, donc que l’opinion présente une certaine imperfection, qu’elle est incomplète.

1/ Forme de l’opinion

Question : est ce que lorsque je donne mon opinion je livre une connaissance ?
NON, j’expose un point de vue, une façon de voir les choses.


Donner son opinion c’est dire comment on perçoit les choses.
Donc, il s’agit d’une représentation subjective (où la subjectivité a une part importante).
Ca veut dire que l’opinion ne repose pas sur des données forcément objectives, mais un choix personnel qui peut être plus ou moins juste.
Exemple : quand la maîtresse demande à l’élève combien font 2+2, elle n’attend pas une opinion, mais un savoir.
En mathématique il n’y a pas de place pour l’opinion.

L’opinion est subjective alors que le savoir est objectif.

Attention : pour autant nos opinions ne sont pas nécessairement absurdes, au contraire elles nous apparaissent pleines de bon sens, puisqu’elle résulte d’u choix, d’un jugement, et c’est un choix qui nous apparaît sensé.
L’opinion est subjective contrairement au savoir, parce qu’elle se prononce en fonction de valeurs personnelles.

Déf résumé : L’opinion est un avis personnel, point de vue dont on pense qu’il est vrai, énoncé de manière spontanée, sans définition, démonstration, ou justification rationnelle.
Ce qui fait une opinion ce n’est pas le contenu de ce que l’on affirme mais la manière de l’affirmer.


Aussi imparfaite et dangereuse que puissent être les opinions, le fait est que nous ne pouvons acquérir un savoir spontané à propos de toute chose , l’opinion apparaît alors comme un pis-aller.

Question : d’où nous viennent nos opinions ?

2/ Origine des opinions

Elles proviennent de sources non contrôlées, non maîtrisées et non réfléchies :

 l'expérience quotidienne,
 les médias,
 notre éducation,
 l'intérêt, l
 es passions.
L'ensemble des phénomènes qui ont une influence sur notre esprit. De manière spontanée, irréfléchie, nous reproduisons, nous répétons des jugements tout faits prononcés par des individus qui ont sur nous une certaine autorité, en qui nous faisons confiance ou tout simplement que nous aimons.
Ce qui caractérise donc l'incorporation d'opinions, c'est notre passivité intellectuelle, notre soumission, notre démission intellectuelle.
Mais, la passivité intellectuelle se distingue de la simple paresse intellectuelle : la passivité est notre lot commun au moins au début de notre existence,

cf. Descartes : Ayant été enfant avant que d'être homme, nous n'avons pas pu faire autrement que d'écouter et de croire ce qu'on nous disaient et de le tenir pour vrai. Si nous avions d'emblée eu l'usage de notre raison dans toute sa force, il ne serait peut-être pas nécessaire de faire de la philosophie, c'est-à-dire pour commencer de faire le ménage dans notre esprit, de se mettre à douter de la valeur de nos opinions.

Prendre de la distance avec ses opinions s’avère très difficile, parce que nous y sommes attachés, nous percevons souvent leur remise en question comme une mis en cause personnelle, pske l’opinion est le reflet de notre univers familial, social…etc. Cad le reflet de notre identité.

3/ Utilité des opinions :A quoi servent-elles?

Quelle est la fonction de l'opinion, son utilité pour nous ?
 Fonction psychologique : elle rassure, elle donne des repères dans l'existence, elle nous permet de croire que nous connaissons la réalité, et donc d'agir comme il convient, en fonction de ce que sont les choses. Elle donne du sens au monde et à l'existence. Elle évite l'effort intellectuel. Elle permet de pouvoir s'affirmer dans l'ordre du discours, de prendre la parole, d'avoir quelque chose à dire aux autres.
 Fonction sociale : l'opinion est un moyen d'intégration sociale, elle sert à se faire reconnaître par un groupe social, de s'y faire accepter. En la matière, nous préférons presque toujours l'intégration sociale à la vérité et à sa recherche. Ex : adoption des préjugés d'un groupe, de ses opinions religieuses...

L'opinion a donc des fonctions majeures pour le confort intellectuel et social des individus. Sans elle, la vie serait difficile.

Conclusion : l'essence ou la nature d'une opinion, c'est d'être une proposition qu'on tient pour vraie, qu'on affirme de manière spontanée, immédiate, qu'on adopte par paresse intellectuelle et qu'on conserve parce qu'elle nous rend service.
C'est pourquoi on peut ajouter qu'il est de l'essence de l'opinion que celui qui la prononce soit attaché à ses opinions comme à lui-même : on est affectivement, passionnellement attaché à nos opinions, on confond ce qu'on est avec ce qu'on croit savoir.
Question :Cette définition de l'opinion, nous permet-elle de comprendre pourquoi elles font l'objet d'une condamnation unanime de la science et de la philosophie ? Qu'est-ce qui est méprisable en elle ?

4/ Opinion et Vérité

Nous venons de le voir, l'opinion se définit essentiellement comme immédiateté, irréflexion, passivité, utilité.

Ce qui signifie que si les opinions sont condamnées, ce n'est pas à cause de leurs contenus ni donc à cause de leur fausseté, mais à cause du rapport irréfléchi et passif qu'on a avec nos opinions.
Ce qui est condamné et condamnable en effet, c'est qu'on affirme quelque chose, mais en répétant quelque chose sans savoir en quoi ni pourquoi c'est vrai.

Aussi bien, comment déterminer le rapport de nos opinions à la vérité sinon en disant qu'elles ne sont ni vraies ni fausses ?
Elles ne sont pas vraies puisqu'elles ne sont pas réfléchies, démontrées, mais elles ne sont pas toutes autant qu'elles sont fausses non plus puisqu'elles peuvent bien à l'occasion être exactes.
On la prend pour vraie et c'est précisément cette vraisemblance de l'opinion qui lui donne un grand pouvoir de séduction capable de provoquer notre adhésion

L'opposition entre le vrai et le vraisemblable est très présente chez Descartes qui pour des raisons de méthode décide de tenir tout ce qui n'est que vraisemblable et donc suspect, douteux, pour faux, dans le but de pouvoir isoler dans l'ensemble de nos idées celles qui sont authentiquement vraies.
Ce qui signifie que, parmi l'ensemble des énoncés possibles, on ne distingue pas seulement les vrais des faux : il en existe une troisième catégorie, de loin la plus importante, la catégorie des énoncés qui ne sont ni vrais ni faux, mais vraisemblables.

On trouve une pareille distinction chez Platon, dans le Ménon, avec la notion d'opinion droite (orthodoxa). L'opinion droite peut être dite vraie en ce que son contenu est en accord avec la réalité, mais elle l'est par accident, par hasard.

Celui qui n'a qu'une opinion droite est incapable de dire pourquoi son opinion est vraie. A la différence de celui qui dispose d'un savoir qui, lui, peut rendre compte, par le raisonnement, de la vérité de son savoir.

Attention, pour Platon, toutes les opinions ne sont pas droites, la plupart d'entre elles n'ont qu'un rapport incertain avec la réalité : elles ne sont que des opinions tout court.
Mais dire que les opinions ne sont ni vraies ni fausses et dire qu'il existe des opinions droites en cela qu'il existe des opinions qui sont exactes ou vraies, implique que nous entendons la vérité en deux sens différents.

Les opinions ne sont pas toutes vraies :
ne le sont que celles qui sont droites puisqu'elles correspondent effectivement à la réalité. Mais celui qui la prononce ne sait pas pourquoi elle est vraie, ne peut pas démontrer sa vérité.
Ce qui renvoie au deuxième rapport sous lequel il est possible de définir la vérité.
On peut aussi définir la vérité d'un énoncé par le caractère démontrable de cet énoncé. Est vrai ce qui est démontré au moyen du raisonnement, d'une démonstration. On pourra aussi reconnaître comme vrai les énoncés pour lesquels il existe des arguments. De ce point de vue le vrai se confond avec le démontrable et de ce point de vue, par définition, aucune opinion n'est vraie.


Résumé :
Opinion droite chez Platon qui est vraie par hasard, donc ne sait pas démontrer pourquoi elle est vraie.

Opinion qui se démontre au moyen de raisonnement, n’est plus de l’opinion mais un savoir vrai.

Que l'opinion ne soit que vraisemblable, et qu'à ce titre, sa prétention à la vérité soit contestable et illégitime, cela est désormais acquis. Reste à savoir si et en quoi les discours philosophiques et ceux de la science, dont le mépris pour l'opinion se trouve à présent expliqué et justifié, échappent pour leur part aux critiques qui valent pour l'opinion.
Et ici se pose la question de savoir comment il est possible de s'arracher à la sphère de l'opinion.


II. LA RUPTURE AVEC L OPINION.



Question : A quelles conditions est-il possible de s'arracher à la sphère de l'opinion?

La sortie hors de la sphère de l'opinion n'est pas spontanée, ni de l'ordre d'une décision rationnelle, elle est forcée, contrainte, provoquée, et, elle est de ce fait violente.
Qu'est-ce qui peut provoquer cette sortie ; qu'est-ce qui peut forcer à sortir de l'immédiat, ébranler la confiance en soi de l'opinion?

1 ) La rencontre avec l'altérité.

Altérité : du latin alter, le caractère de ce qui diffère, de ce qui est autre, qui est étranger. Cf.: Alter ego (autre moi), alternative (autre voie, option, choix), altération (devenir autre chose que ce que l'on était, associé à l'idée d'une dégradation, d'une parte de son identité, de sa nature)

Qu'est-ce que l'altérité pour l'opinion ?

Les opinions des autres lorsqu'ils contredisent nos propres opinions. Dès lors elles cessent d'aller de soi, ne serait-ce que parce qu'elles ne sont plus les seules.
Attention ! L'altérité des opinions, des avis des autres peut avoir différentes formes, plus ou moins fortes et dérangeantes.
 Elles peuvent être seulement différentes des nôtres. Simplement dans ce cas, elles ne sont pas identiques.
Ex : 1) Tous les chats sont aimables. 2) Tous les chats sont gris. Il y a là simple différence entre ces deux avis. Cela ne tire pas à conséquence.
 Elles peuvent être opposées aux nôtres. Elles sont différentes des nôtres, mais en plus, elles sont en désaccord avec elles.
 Elles peuvent être contradictoires entre elles. Elles sont différentes entre elles mais de telle sorte qu'elles ne peuvent pas simultanément être toutes les deux vraies ou fausses, de telle sorte donc que si l'une est vraie, alors l'autre est nécessairement fausse et inversement. EX 1) Dieu existe. 2) Dieu n'existe pas. 1 )

Il va de soi que selon la nature de la différence entre les opinions, leur rencontre n'aura pas les mêmes effets sur nous. Rencontrer de l'opposition ou une contradiction est plus dérangeant, plus susceptible de nous forcer à réfléchir.
Autres formes de l'altérité pour l'opinion :
Des faits, des événements, des êtres qui sont des réfutations réelles de nos opinions et qu'il est impossible de ne pas voir.
Ex : La rencontre avec d'autres cultures qui comportent des croyances, des certitudes et des rituels sociaux très différents des nôtres et qui ont leur "logique", qui ont leur justification.
Ex : Des faits, des événements qui contredisent une opinion répandue à une époque donnée: La crise économique durable remet en cause la croyance selon laquelle le mode de production capitaliste rend possible une élévation générale du niveau de vie et du bien-être matériel.

Question : Quelles sont les conséquences de cette rencontre ?


Traumatisme et déstabilisation. C'est une expérience pénible, troublante, dérangeante. On peut y perdre sa confiance en soi, sa sérénité et le sommeil.

Platon puis Aristote, pour désigner à la fois cette rencontre et ses effets sur nous, parle de l'étonnement.

Ce mot ici a un sens fort, le sens rappelé par son étymologie : tonnerre, être frappé par la foudre, être foudroyé par la prise conscience de l'existence de quelque chose à quoi on ne s'attendait pas, qui nous surprend compte tenu de nos opinions.

Pour Platon et Aristote, l'étonnement est le sentiment qui déclenche la rupture avec l'opinion et l'entrée dans la réflexion, la philosophie.
C'est le sentiment philosophique par excellence. Pourquoi ? Parce que ce qui le déclenche, c'est la découverte soudaine d'une opposition ou d'une contradiction entre une de nos opinions et celle d'un autre ou une observation. Donc parce que ce qui étonne correspond très exactement à ce qui caractérise un problème philosophique : une contradiction entre deux discours qui semblent être tous les deux vrais, ce qui n'est pas possible puisqu'ils se contredisent précisément.
Attention : on peut avoir des étonnements de divers ordres, il est par exemple possible de s'étonner qu'il existe quelque chose plutôt que rien, qu'il y ait un monde, du réel. Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Question posée en ces termes par Leibniz. L'importance de cette expérience de l'étonnement a fait dire à de nombreux philosophes que celui qui ne s'étonne de rien,
Donc celui pour lequel tout est "normal", ne sera pas philosophe.
Toutefois, la rencontre avec l’altérité, si elle est une condition nécessaire à l'arrachement à la sphère de l'opinion, n'est pas suffisante pour rompre avec nos opinions. Il ne suffit pas de rencontrer l'altérité pour quitter ses opinions, sinon, on ne serait plus dans cette sphère depuis longtemps.

Que faut-il d’autre ?
.
Il ne suffit pas de rencontrer l'altérité pour sortir de la sphère de l'opinion, pour quitter l'immédiateté, pour se mettre à réfléchir.
Ce n'est pas cette rencontre qui va d'elle-même susciter le passage à la réflexion ; elle ne fait que la rendre possible. Pire, cette rencontre peut même conduire à renforcer l'attachement à nos opinions, à nous mener à argumenter.


Question : qu'est-ce que nous recherchons en proposant des arguments ?

A convaincre ou à persuader notre interlocuteur du bien fondé de notre avis.

Ce qui suppose une fois de plus que nous pensons avoir raison sans pourtant avoir encore toutes les raisons de le penser.
Mais si nous cherchons à faire admettre à notre interlocuteur que nous avons raison sans vraiment pouvoir être sûr que nous avons raison, c'est qu'en réalité notre but n'est pas de communiquer une vérité, mais de vaincre, de gagner l'autre à notre cause. Sous couvert de dialoguer, on se fait la guerre. C'est du reste pour cette raison que le plus souvent chacun campe sur ses positions, c'est-à-dire se bat sans gagner de terrain sur l'autre.
Qu'est-ce que cela signifie sinon que la rencontre avec l'altérité n'a en rien conduit à se défaire de ses opinions, bien au contraire ? Ce qui veut dire que cette rencontre ne produit pas à elle seule et toujours la rupture avec nos opinions.

Question : Que faut-il pour qu'une conversation qui part d'un désaccord conduise à autre chose que se faire la guerre ?


Que ceux qui conversent renoncent au désir de vaincre pour celui de rechercher la vérité en acceptant dès le départ qu'il soit possible que ce ne soit pas nous qui la détenons.
Sans ce souci de rechercher la vérité sans en faire un duel, la rencontre avec l'altérité sera stérile.

En apparence, cela ne fait pas beaucoup de différences, mais en réalité cela change tout.
C'est sur cette idée que revient souvent Socrate, particulièrement dans le Gorgias, lorsqu'il oppose la rhétorique, dont le but affiché est de persuader tous les auditoires d'à peu près tout, à la pratique du dialogue tel qu'il l'entend, à savoir où on a autant de plaisir à réfuter les autres qu'à être réfuté par eux parce que dans les deux cas, c'est la recherche de la vérité qui progresse.
Sans ce désir de connaître la vérité, la rencontre avec l'altérité est vaine et peut mener au rejet de l’autre.

2) Le rejet de l'altérité.
A la violence, psychologique, provoquée par la rencontre avec l'altérité peut répondre une autre violence, un autre coup de force dirigé contre l'altérité et destiné à faire cesser la souffrance qu'elle nous cause.
De cette manière, on peut la neutraliser, faire en sorte qu'elle cesse de nous parler, d'être importante.
 Se moquer : nier le caractère sérieux des propos de l'autre, les renvoyer à une simple plaisanterie sans intérêt.
 Déprécier l'autre : le déclarer fou ou stupide, c'est-à-dire incapable de tenir des propos sérieux. Le fou, l'idiot n'ont pas l'esprit sain, ne sont pas en totalité des hommes, donc on n'a rien de commun avec eux, donc ce qu'ils disent ne vaut pas.
 L'ethnocentrisme : attitude qui consiste à penser que sa propre culture incarne l'accomplissement de l'humanité et de la culture, que les autres ne sont que des barbares sous développés, des êtres inachevés ayant conçu une culture arriérée.
Dans tous les cas, on annule la possibilité de la rencontre authentique avec les propos de l'autre en niant tout fonds commun avec eux. L'autre n'est plus que bizarre, absurde, exotique, anecdotique...

Mais ce n'est pas tout : lorsque le renvoi dans l'étrange est impossible, lorsqu'il est trop manifeste que l'autre n'est pas fou, qu'il nous parle bien, trop bien et qu'il est dérangeant, on peut le détruire, le mettre hors d'état de nuire. (la prison, l'asile et la mort).
Cf : Athènes condamnant Socrate à mort parce qu'il dérangeait tout le monde avec ses questions qui obligeaient à réfléchir et à renoncer à ses opinions, à ses préjugés.
Parce que renoncer à ses opinions, c'est gros de dangers, de désespoir. Telle est l'attitude du conformisme, du dogmatisme (de l'affirmation contre toute forme d'objection et de critique d'une idée, d'une thèse ou d'une doctrine.) Illustration de la violence dont sont capables les certitudes commodes ou utiles.
Conséquences de ce rejet ?
On peut continuer comme avant à affirmer ses opinions. Cette affirmation violente ou fermée aux discours des autres s'appelle le dogmatisme, attitude qui consiste à tenir pour vraie et indiscutable une thèse, une conception de la réalité. L'expression la plus humble du dogmatisme est le fait d'être buté, de considérer ses propres convictions comme les seules qui valent. Attitude qui n'est jamais éloignée de la violence des fanatiques.
Le saut a donc échoué... Mais ce n'est pas la seule manière d'échouer... Le saut peut échouer non pas en raison du rejet de l'altérité, mais à cause du renoncement à la vérité.

3) Le renoncement à la vérité.

A l'inverse de la situation précédente, il est possible d'accepter l'altérité, celle des opinions différentes des nôtres, mais pour les noyer toutes dans la pluralité des opinions. L'altérité est tolérée, reconnue, acceptée, mais au point que les différences entre les opinions sombrent dans l'indifférence, deviennent indifférentes. Toutes les différences reviennent au même, se valent.
C'est cette position qu'expriment les expressions telles que : tout se vaut ; à chacun ses opinions, à chacun sa vérité, on détient tous une part de la vérité, chacun a le droit de penser ce qu'il veut ; c'est comme les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas, c'est une question de point de vue.

Question : Comment s'appelle une telle attitude ?
Le relativisme. C'est la position que ceux qui pensent que tout le monde détient une vérité, sa vérité, que la vérité est donc relative à celui qui la prononce et non quelque chose qui vaut en soi, qui est vrai indépendamment de celui qui la prononce.
Seulement, comme on peut observer que tous les individus n'affirment pas le même chose, n'ont pas tous la même vérité, on ajoute que, puisque chacun a sa vérité, que toutes les opinions se valent. Si tout est relatif, il est vain d'accorder à un discours plus de valeur qu'à un autre.

On peut trouver que le relativisme est finalement une position tolérante et même généreuse dans la mesure où elle permet à tout le monde de dire ce qu'il pense, sans accorder à un discours plus de valeur qu'un autre.

Par ailleurs, une telle position n'est pas sans danger parce qu'elle autorise l'expression de la bêtise, de propos violents et bientôt de la violence tout court. Parce que c'est ainsi que se banalisent les opinions les plus intolérantes, celles qui grâce à la tolérance ambiante peuvent affirmer sa propre intolérance, son refus de l'altérité.

Enfin et surtout, le relativisme est quand on y réfléchit un peu une position intenable sérieusement. Comment peut-on en effet soutenir simultanément que notre point de vue exprime la vérité, et, qu'il n'est pas préférable à n'importe quel autre point de vue, puisque toutes les opinions se valent ? Il faudrait savoir : soit nous avons raison de préférer notre point de vue à celui des autres et dans ce cas, il vaut plus qu'eux, soit notre point de vue ne vaut pas plus que celui des autres, auquel cas notre attachement à celui-là est vain.
Ou bien, mon point de vue est vrai et il est préférable à tous les autres qui s'en distinguent et qui donc pour cela sont faux, ou bien son caractère indifférent révèle son absence de justesse, de vérité, sa fausseté donc : toutes les erreurs se valent en tant qu'elles ne sont pas des vérité.
Dit autrement : si nous avons tous nos opinions au sujet d'une chose, le risque est élevé qu'il existe entre les opinions des différences, des oppositions, voire des contradictions. Or, comment peut soutenir que nous avons tous raisons si nous ne sommes pas d'accord entre nous ? Comment peut-on dire alors que nous sommes tous dans le vrai ?
De sorte que si on tient à être cohérent, il n'est plus possible de dire que chacun détient sa vérité, que toutes les opinions se valent ou que la réponse à toute question dépend de chacun

Résumons-nous : le saut en dehors de la sphère de l'opinion peut échouer de deux manières : soit par rejet de l'altérité, soit par renoncement à la vérité. Mais dans les deux cas, on fait bien plus qu'échouer : ces deux échecs s'accompagnent toujours et nécessairement soit d'un côté de la violence, soit de l'autre de l'incohérence et de l'absurdité.

Ce qui importe donc maintenant, c'est de savoir en quoi consiste le saut réussi et où mène-t-il ?

III LA RUPTURE REUSSIE AVEC NOS OPINIONS.


Nous savons qu'il n'est possible de rompre avec nos opinions que si on rencontre l'altérité tout en étant désireux de connaître la vérité.

Mais en quoi consiste au juste cette rupture, le saut en dehors de l'opinion ?


Celui qui s'arrache à la sphère de l'opinion passe de l'irréflexion à la réflexion.
Mais, en quoi consiste la réflexion ?
La réflexion consiste d'abord à se dire : Stop! Une minute! Il faut voir ça de plus près! Prenons le temps et la peine d'y voir un peu plus clair dans telle ou telle idée ou affirmation.
A savoir : réfléchir, c'est d'abord se mettre en retrait par rapport au cours des choses et de la vie, cesser d'y être plongé, se donner du temps, celui de la réflexion, comme on dit justement.
Elle consiste ensuite à se dire : Mais, au juste, qu'en est-il vraiment ? Est-ce que c'est vrai, cette idée que j'entends ou en laquelle je crois ? Est-ce que cet avis est aussi solide, aussi valable que je le crois ou qu'on le croit ? Elle consiste donc à se poser des questions. Réfléchir, c'est bien, comme on le dit communément, se poser des questions et se donner des réponses à ses propres questions.
Ce qui signifie que la pratique de la philosophie ou de la science, parce qu'elles reposent sur la réflexion, exigent bien autre chose que l'acquisition et la restitution de savoirs. On peut d'ailleurs expliquer que la philosophie et la science aient une histoire traversée par des conflits par cela qu'elles reposent sur la réflexion, l'invention de réponses et de questions qui raturent les questions et les réponses antérieures.
Mais cela signifie aussi que parmi l'ensemble des choses que nous savons, il y en a que nous n'avons pas apprises mais que nous avons conçues par nous-mêmes, que nous avons constituées autant que découvertes.

Cette définition de la réflexion, on la retrouve chez Platon, qui dans le Théétète, définit l'acte de penser comme un dialogue intérieur au cours duquel on s'interroge soi-même et on donne des réponses à ses questions.
Il faut toutefois observer que la réflexion peut ne pas être produite par un effort continu, volontaire et conscient : il arrive que les réponses à nos questions, celles qui nous travaillent, nous viennent comme inopinément, comme de soudaines révélations. C'est qu'on pensait encore, mais sans le savoir, sans effort conscient.

A cela, Platon répond en disant que la réflexion en réalité n'invente rien, mais découvre des vérités qu'on connaissait, mais qu'on avait oublié. C'est la théorie dite de l'anamnèse. Platon ramène l'invention à une remémoration.

Seulement, si réfléchir, c'est se poser des questions pour leur apporter des réponses, il faut remarquer que la philosophie et la science n'ont absolument pas le monopole de la réflexion. Elle est même une activité intellectuelle finalement assez courante.
Ainsi, on réfléchit lorsqu'on se demande comment éduquer ses enfants, comment faire son devoir ou quel est son devoir ou que faire de ses vacances.

Mais si la réflexion n'est pas le propre de la philosophie et de la science, qu'est-ce qui caractérise la réflexion philosophique ?
Qu'est-ce qu'il faut ajouter à la définition générale de la réflexion pour comprendre en quoi consiste la réflexion philosophique, c'est-à-dire la rupture philosophique avec les opinions.



Le passage à la réflexion correspond à la rupture avec nos opinions
 lorsqu'elle se donne pour but la découverte de la vérité (et non la conception d'un projet ou la découverte de moyens de faire quelque chose)
 et qu'elle a pour objet celles de nos opinions dont la vérité est devenue incertaine du fait de la rencontre avec l'altérité.

.
Peu de philosophes ont écrit sur la manière avec laquelle ils ont vécu ce passage et sur ce qui l'a provoqué. Toutefois, on peut trouver chez certains d'entre eux des témoignages ou des récits de ce passage. Notamment un témoignage chez Descartes et des récits chez Platon.

Le témoignage de Descartes se trouve à la fois dans le Discours de la méthode et dans les Méditations Métaphysiques. Dans le Discours, il affirme que les études qu'il a suivies ne lui ont enseigné que des savoirs incertains, vraisemblables. Sur les choses les plus importantes, les plus grands esprits sont en désaccord. En somme, les opinions savantes qu'il a apprises s'opposent les unes aux autres, sont dans un rapport d'altérité les unes par rapport aux autres. Après ses études, ses voyages vont lui faire perdre de nouvelles certitudes : la rencontre avec l'altérité des autres coutumes, des autres idées admises comme vraies le conduit à douter de ses dernières certitudes. Ces déceptions et ses désillusions semblent le conduire à devenir sceptique : à douter qu'il existe une seule connaissance certaine, et même à douter qu'il soit seulement possible pour les hommes de connaître une seule chose en toute certitude. C'est précisément pour en avoir le cœur net, pour savoir si le scepticisme n'est pas la plus avisée des attitudes intellectuelles qu'il entreprend d'écrire les Méditations métaphysiques. Il y décide d'entreprendre une fois pour toute l'examen de toutes ses opinions afin de découvrir s'il en existe au moins une qui soit vraie et, si elle existe, à partir d'elle de découvrir toutes celles qui, lui ressemblant, pourront être tenues pour vraies sans réserve. Il recherche une première vérité à partir de laquelle il serait possible de découvrir toutes les autres.
L'entreprise est radicale : Descartes part de l'incertitude qui frappe toutes les opinions pour se demander si ne serait-ce qu'une seule d'entre elles est vraie et donc s'il nous est possible de connaître quelque chose en toute certitude. Son but est donc radicalement d'en avoir le cœur net sur notre possibilité de connaître vraiment quelque chose.
Pour ce faire, il va procéder à un examen méthodique de ses opinions, à une réflexion sur ses opinions qui suivra un ordre méthodique déterminé. A savoir : faire du doute une méthode de tri, d'élimination ordonnée de tout ce qui n'est pas certain, de toutes les idées incertaines, incapables de satisfaire pleinement son désir de vérité. A l'issue du doute radical, il ne reste aucune idée qui puisse être tenue pour vraie. Il se retrouve alors dans la situation extrême qui consiste à penser, à réfléchir, à avoir une pensée en acte mais plus aucun contenu de pensée, plus aucune idée qui puisse être affirmée. Moment de détresse qu'il compare à celle que connaîtrait un homme en train de se noyer dans une eau sombre, ne sachant où se trouve la surface. Une des plus terribles images inventées par un philosophe.
Les dialogues de Platon, notamment les dialogues dits de jeunesse, sont tous des récits du passage plus ou moins réussi de l'opinion à la réflexion, non pas chez Platon ou chez Socrate, mais chez ses interlocuteurs. Socrate, dans ces dialogues, examine avec ses interlocuteurs certaines opinions courantes ou nouvelles à l'époque. Le point de départ des dialogues, c'est le plus souvent des situations de la vie quotidienne dans lesquelles on prononce des jugements tels que : ça, c'est beau, c'est courageux, c'est de la vertu, c'est pieux, c'est juste... A partir de là, Socrate invite ses interlocuteurs à lui donner la définition de la beauté, du juste, du courage, de la piété, de la vertu... Il faut bien qu'on sache ce que c'est puisqu'on en parle, qu'on juge les personnes et les choses en utilisant ces mots.
Or, au cours du dialogue, il apparaît que ses interlocuteurs ne savent pas de quoi ils parlent, c'est-à-dire que leurs définitions ne sont que des opinions sans aucune valeur. Le dialogue, c'est-à-dire les questions de Socrate et les réponses de ses interlocuteurs, va permettre de comprendre et de faire comprendre que ces opinions n'ont qu'une prétention illégitime à la vérité soit parce qu'elles oublient une grande partie de la réalité concernée, soit parce qu'elles se contredisent elles-mêmes. Par le dialogue, les interlocuteurs de Socrate sont forcés de reconnaître que leurs opinions ne valaient rien. Ils sont plongés ainsi dans la plus grandes des perplexités, dans l'embarras : ils ne savaient pas ce qu'ils disaient, ils parlaient à tort et à travers, et, une fois qu'ils s'en sont rendus compte, ils ne savent plus quoi penser et dire.
Qu'est ce que cela signifie ? Puisque le dialogue progresse par les questions de Socrate et les réponses de ses interlocuteurs, il est l'équivalent de la réflexion non pas telle qu'elle se déroule dans l'esprit d'une seule personne, mais transposée sous la forme d'une conversation entre deux personnes. On peut donc dire que les dialogues de Platon sont comme une mise en scène, une dramatisation de ce qui pourrait être une réflexion personnelle. De ce point de vue, il apparaît que la rupture avec les opinions, la prise de conscience de la piètre valeur des idées communes est l'œuvre de la réflexion. C'est donc elle qui plonge dans l'embarras.
Cet état peut conduire à mettre en colère contre Socrate ceux qui le voient remettre en cause les opinions admises et ceux qui doivent admettre qu'ils ne savent pas ce qu'il prétendaient savoir. Mais il peut aussi conduire à plonger ses interlocuteurs dans une perplexité dont ils ne parviennent pas à sortir d'eux-mêmes malgré les questions de Socrate. Dans ce cas, ils lui demandent souvent les réponses aux questions qui les laissent sans voix. A quoi il répond toujours qu'il n'en sait rien, que leur embarras est aussi le sien. Au cours de son procès, il dira même que la seule chose qu'il sache c'est qu'il ne sait rien et c'est sans doute pour cela qu'il est déclaré sage, le plus sage des hommes, par l'oracle de Delphes. Enfin, cet état peut conduire ses interlocuteurs à réfléchir avec Socrate de telle sorte qu'ils proposent des réponses qui ne sont plus des opinions, qui ont une autre valeur, une autre tenue. Dans ce cas, la rupture avec les opinions conduit à mettre son interlocuteur en état de réfléchir avec Socrate. Mais Platon ne parle pas de rupture avec les opinions, de passage à la réflexion, il parle de conversion de l'âme. Convertir l'âme se son interlocuteur, c'est l'amener à cesser de penser par l'opinion et à partir des témoignages de sens pour penser par soi-même et sans le secours des sens. C'est cette rupture avec les opinions, cette conversion de l'âme, qui est aussi exposé dans la fameuse allégorie de la caverne, précisément sous la forme d’une allégorie, d'une image.
Dans les dialogues de jeunesse, Socrate compare ce qu'il fait avec ses interlocuteurs avec travail de sa propre mère qui était sage-femme : de même que sa mère accouchait les corps, lui il accouche les esprits de ce qui s'y trouve par les questions qu'il pose. Et, après avoir accouché les esprits, comme le fait une sage-femme avec l'enfant qui vient de naître, il s'assure par de nouvelles questions que les idées qu'il a fait sortir de l'esprit de ces interlocuteurs, sont viables, c'est-à-dire valables ou au contraire vaines, sans consistance. Il sépare les opinions sans fondement des idées qui n'en sont pas. L'art d'accoucher les esprit, c'est ce qu'on appelle la maïeutique socratique.
Que ce soit à partir du témoignage de Descartes ou des récits que sont des premiers dialogues de Platon, on peut observer que l'acte d'arrachement à l'opinion, le passage à la réflexion est toujours un moment de crise, un moment sacrificiel et qui, pour commencer, est désespérant. Se mettre à réfléchir, c'est prendre le chemin du désespoir, comme le dit Hegel.
Ce qui signifie que ce qui caractérise le philosophe, du point de vue des faculté ou des aptitudes psychologiques, c'est beaucoup moins la puissance de l'intellect, que le courage et la probité, sans lesquels on ne peut pas accomplir les efforts de la réflexion ni endurer ses effets.
Faisons le point.
Notre premier problème était de savoir si nous avions raison de priser nos opinions ou si les philosophes et les scientifiques avaient raison de les mépriser. Après avoir défini l'essence des opinions, nous pouvons donner raison aux philosophes et aux scientifiques. Ce qui ne signifie pas encore que ce qu'ils soutiennent se distingue radicalement de nos opinions et encore moins que ce qu'ils disent est vrai. Il n'empêche que nous savons maintenant qu'il est possible de rompre avec nos opinions et donc de tenir des discours qui ne sont pas du même ordre.
Reste à savoir en quoi la philosophie est aussi différente de nos opinions qu'elle le prétend et si ses discours valent plus que ceux de l'opinion.
Ce qui nous engagera à nous demander et en quoi elle se distingue de la science avec laquelle elle partage le même mépris pour l'opinion.

IV ) EN QUOI LE DISCOURS PHILOSOPHIQUE SE DISTINGUE AUSSI D'AUTRES DISCOURS RAISONNES ?

A) A quoi reconnaît-on un discours philosophique?
S'il est vrai que la philosophie naît de la rupture avec nos opinions par la réflexion, alors on doit s'attendre à ce que le discours philosophique rende compte de cette réflexion.
Est-ce à dire que les discours philosophiques, en tant qu'ils naissent de la réflexion, sont des comptes-rendus de la réflexion des philosophes ? Pas exactement : en dehors des dialogues de Platon et de quelques autres textes - et toujours sous une forme très travaillée -, rares sont les ouvrages de philosophie qui se présentent sous la forme d'un dialogue, d'un échange de questions et de réponses.
Remarque : Mais il n'est pas nécessaire que les textes philosophiques se présentent sous cette forme pour attester qu'ils sont bien les fruits de la réflexion dans la mesure où la réflexion est susceptible de produire des résultats qu'il est possible de présenter sous d'autres formes que celle d'un dialogue.

Question : Sous quelles formes ? Sous la forme de définitions, d'explications, d'argumentations, de démonstrations. N'est-ce pas d'ailleurs ce qu'on a fait ?
Dégager l'essence de l'opinion, c'est-à-dire produire son concept, a bien été l'œuvre d'une série de questions auxquelles on a donné des réponses qui ont fini par former la définition que nous cherchions.
Qu'est-ce que cela signifie ? Que si la philosophie condamne, critique l'immédiateté, le caractère irréfléchi, indémontrée, dénué d'arguments de l'opinion, elle échappe à sa propre condamnation.

C'est donc d'abord à cela qu'on doit pouvoir reconnaître un discours philosophique, c'est-à-dire à son caractère rationnel ou raisonné. A savoir : un discours rationnel est un discours qui avance et enchaîne entre elles des raisons qui permettent de soutenir, de démontrer, de justifier une thèse, une idée. Est raisonné un discours qui donne des raisons de penser qu'il a raison.

Cette caractéristique du discours s'appelle la discursivité : l'enchaînement articulé de propositions ou de raisons qui permet de manière linéaire de passer progressivement d'un ensemble de propositions de départ à une conclusion démontrée.
Question : A quelles conditions un discours peut-il être rationnel ou discursif, c'est-à-dire démonstratif ? A quelles règles doit-il se conformer, se plier ?

Réponse : Aux règles de la logique, celle qu'on dit formelle en ce qu'elle s'applique à la forme du discours. Respect des principes de la logique dite formelle.
Ex : le principe de non-contradiction.
Si b et c s'opposent, alors A ne peut pas être b et c à la fois.
Socrate ne peut pas être dit assis et en train de marcher.
Socrate ne peut pas être dit grand et petit.
Cela signifie qu'une proposition ne peut pas être en même temps vraie et fausse. Cela signifie aussi que si l'une des deux propositions est vraie, alors l'autre est fausse.
Formulation d'Aristote du principe de non contradiction : On ne peut pas affirmer d'une chose quelque chose et son contraire, en même temps et sous le même rapport.
Ainsi, si on reprend les propositions au sujet de Socrate, il faudrait distinguer des temps différents pour la première et des rapports différents pour la seconde, par exemple préciser qu'il est grand comparé à Platon et petit comparé à Alcibiade.
Les effets et les conséquences de ce principe formel sont considérables.

En définitive, ce qui caractérise la forme ou l'essence du discours philosophique, c'est son caractère raisonné, discursif et cohérent.

C'est d'ailleurs pour cette raison qu'on fait de Socrate/Platon le fondateur de la philosophie : il est en effet le premier qui ait eu le souci de ne pas se contenter de dire des choses empreinte de sagesse, d'affirmer de belles sentences, mais de leur trouver une justification, de les démontrer, de leur apporter des arguments. Avant lui, les penseurs dits présocratiques se contentaient d'un dire, souvent à caractère poétique (Cf. le poème de Parménide, les aphorismes de Héraclite), certes pénétrant et plein de sagesse, mais dépourvu de toute forme de justification rationnelle.
Pour plus de précisions sur cette thèse et pour passer un bon moment, il faut lire Platon, de F. Châtelet, disponible en livre de poche (Gallimard)
Il faut ajouter toutefois que le caractère raisonné, discursif du discours philosophique ne l'empêche pas d'être aussi polémique, sophistique, rhétorique, ironique, imprécatoire, implicite...

Remarque : D'abord, la philosophie n'a pas le monopole des discours raisonnés, cohérents, discursifs. Elle partage cette caractéristique avec d'autres discours, comme celui des sciences, mais aussi ceux qu'il peut nous arriver de tenir lorsque nous sommes soucieux de convaincre avec des raisons du bien fondé de nos avis, de nos idées.

Remarque : Mais, et c'est beaucoup plus important même si cela ne saute pas aux yeux, la seule cohérence d'un discours, son respect scrupuleux des règles de la logique formelle, sa discursivité ne garantissent absolument pas la vérité du discours. Autrement dit, la seule discursivité, si elle suffit à légitimer la prétention de tous ces discours à ne pas être des opinions de plus, ne garantit en revanche pas que ces discours soient vrais, alors qu'ils le prétendent ou qu'on leur prête cette prétention.
Ce qui signifie donc que la supériorité des discours raisonnés des philosophes comme des sciences sur les opinions n'est pas assurées. L'opinion tiendrait-elle sa revanche ?

Si les discours raisonnés ne sont pas nécessairement vrais, c'est parce qu'il faut distinguer la validité d'un discours et sa vérité.

Question : Qu’est ce qu’un discours valide ?


Un discours est dit valide, si quant à sa forme, il n'enfreint aucune règle logique, si sa forme est du point de vue de la logique irréprochable.

Un discours sera dit vrai si sa conclusion est en accord avec la réalité, si elle est adéquate au réel.
Or, pour le redire en ces termes, la validité formelle d'un discours ne garantit pas la vérité de sa conclusion. On pourrait penser que cette validité du discours constitue tout de même une condition nécessaire à défaut d'être suffisante de la vérité du discours. Pas du tout : il est possible de tirer une conclusion vraie (adéquate) d'un raisonnement non valide.
Ex :
1 ) Tous les chats ont quatre pattes.
2 ) Félix, mon animal domestique, a quatre pattes.
3 ) Donc Félix est un chat.
La conclusion est vraie si j'ai un chat qui s'appelle Félix. Pour autant, la démonstration n'est pas valide. Elle est une forme non valide du raisonnement. Si on remplaçait Félix par Médor, sans changer la forme du raisonnement, on arriverait à une conclusion fausse, parce que Médor est un chien comme son nom l'indique. Ici, démonstration non valide et conclusion vraie. Ce raisonnement a en plus l'apparence de la validité. Mais pourquoi peut-on dire que cette conclusion est vraie, même après avoir appris que le raisonnement n'était pas valide ? Parce qu'on peut le vérifier dira-t-on. Parce qu'on peut, au moyen de l'observation, c'est-à-dire en comparant la conclusion du raisonnement et ce qu'on peut dire de la réalité telle qu'on la perçoit, saisir un accord entre cette conclusion et nos observations.
Ex :
1 ) Tous les hommes sont mortels.
2) Zeus est un homme.
3) Donc, Zeus est mortel.
Ici, c'est le contraire : le raisonnement est valide, mais sa conclusion est fausse. Pourquoi ? Parce que Zeus n'est pas un homme mais un dieu. Donc, si la conclusion est fausse, c'est parce qu'un de ses points de départ, une de ses prémisses, est fausse. Conséquence : un raisonnement qui est valide, qui respecte la logique formelle, a une conclusion vraie, à condition que ses prémisses soient vraies.
Mais si la validité d'un discours ne garantit pas la vérité de ses conclusions, alors cela signifie que l'ensemble des discours rigoureux, valides, à commencer par ceux de la philosophie et ceux des sciences, ne sont peut-être pas vrais quant à leurs conclusion. Voilà qui semble remettre en cause la valeur que la philosophie s'accorde et celle qu'on accorde spontanément à la science.
Seulement, cette difficulté n'a pas échappé à la philosophie et à la science. Toutes les deux la connaissent depuis qu'elles sont apparues. Et toutes les deux affirment qu'elles détiennent un moyen de dépasser cette difficulté.
Plus exactement, ce n'est pas tant que la philosophie et la science se sont rendus compte de ce problème pour lui apporter ensuite chacune sa solution, en réalité la science et la philosophie apparaissent avec la mise en œuvre de leur moyen propre de dépasser cette difficulté. La philosophie n'est rien d'autre qu'un des moyens de régler ce problème, et, la science un autre moyen. Elles apparaissent du jour où ce moyen apparaît comme tel.
Comment font-elles pour garantir le passage de la validité formelle à la vérité objective et universelle de leur discours ? Comment parviennent-elles à la vérité à partir d'un raisonnement valide ? Pourquoi y a-t-il deux moyens et pas un seul, donc pourquoi y a-t-il de la science et de la philosophie et pas seulement l'une des deux ? Et les deux moyens qu'elles proposent tiennent-ils leurs promesse ? Sont-ils d'égale valeur ? ce qui nous ramène au dernier problème que nous avions soulevé au début du cours : faut-il distinguer la science de la philosophie du point de vue de leur valeur respective ? Faut-il accorder au sens commun que la science dit la vérité tandis que la philosophie n'est que fumeuse ?

B) Qu'est-ce qui distingue la philosophie de la science ?

Sur quoi fondent-elles leurs discours ?
Comment s'assurer qu'un discours n'est pas seulement valide, mais que ces conclusions sont vraies. A bien y regarder, on vient de le voir en analysant les deux raisonnements donnés en exemple : pour savoir si la conclusion d'une démonstration est vraie, il est possible ou bien de confronter la conclusion à ce qu'on sait déjà de la réalité, ou bien de s'assurer avant de commencer que les points de départs sont eux-mêmes vrais.
Ces deux manières de procéder sont respectivement celle de la science et celle de la philosophie.
1 ) Science et philosophie.
Pour dépasser le problème que pose l'insuffisance de la validité formelle des raisonnements en matière de vérité, la science recourt à ce qu'on appelle l'expérience, l'expérimentation, ce qui lui permet non pas tant de vérifier la vérité de ses conclusions que de les tester. La science teste la valeur de ses conclusions au moyen d'expériences. Mais des conclusions de quels raisonnement ? Des raisonnements qu'elle fait à partir d'hypothèses qui elles-mêmes sont conçues comme des explications possibles des phénomènes qu'elle ne parvient pas encore à expliquer. La science test par l'expérimentation la valeur des hypothèses explicatives qu'elles imaginent en se demandant si les conséquences logiques de ces hypothèses correspondent à des phénomènes observables. Et, la science est la science précisément parce qu'elle recourt à l'expérimentation comme moyen de tester ces hypothèses en confrontant les conséquences logiques de ces hypothèses à des observations de la réalité réalisée à partir d'expérimentations.

La philosophie, quant à elle, ne trouve pas une issue au problème de l'insuffisance du raisonnement qui ressemble à celle des sciences. Pourquoi ?
Parce que l'observation des faits et l'expérimentation sont en elles-mêmes insuffisantes ou vaines dans la mesure où les problèmes que soulève la philosophie, les questions qu'elle pose, ne peuvent pas trouver par ce moyen de solutions ou de réponses. Pour savoir quel est le meilleur régime politique possible, il n'est peut-être pas inutile de commencer par observer ce qui se fait en la matière, mais rien n'assure que ce régime existe. Pour savoir ce qu'il est possible de connaître en toute certitude, il est vain de se tourner vers les connaissances déjà accumulées dans la mesure où d'une part il est possible que ces connaissances ne représentent pas l'ensemble de ce qu'il est possible de connaître, et, d'autre part il est possible aussi que ce qu'on appelle connaissance et que l'on tient pour vrai soit en réalité faux ou incertain.
Alors comment s'y prend-elle ? Sur quoi fonde-t-elle son discours ?
Ce qui la caractérise en propre, c'est de rechercher des fondements à son discours, c'est-à-dire d'établir des points de départ qui soient absolument incontestables, des bases à partir desquelles elle raisonne. Dit autrement, elle cherche à établir des principes à partir desquels il est possible de raisonner avec certitude.
Ce qui signifie qu'elle passe souvent plus de temps à chercher ces fondements qu'à raisonner à partir d'eux, dans la mesure où la recherche de points de départ absolument solides constitue un travail long et difficile.
Pouvoir rendre compte non pas seulement de la cohérence interne, de la pureté formelle du discours, mais de sa valeur, de sa vérité, au moyen de principes, de bases et de points de départ absolument solide est un souci typique.
Mais, il est vrai que selon les penseurs, ce souci sera plus ou moins marqué ou apparent dans le corps du discours. Il est très marqué chez Descartes, Husserl, chez Kant ou chez Platon. Il l'est moins ou différemment chez Hegel, Nietzsche ou Pascal.
Rq : Toute la question est de savoir si ce souci doit être tenu pour constitutif du philosophique en tant que tel, auquel cas cette caractéristique doit aussi être tenue pour discriminatoire, c'est-à-dire pour le critère qui sert à distinguer ce qui est philosophique de ce qui ne l'est pas. Conception normative de cette définition différentielle du discours philosophique. Ou alors, il faut considérer ce souci comme certes fréquemment observable, mais pas du tout comme discriminatoire, le propre du philosophique ne consistant pas qu'en cela. Ce qui signifie qu'on ne dispose pas avec ce souci d'un critère déterminant et qu'il est à trouver s'il existe, c'est-à-dire si le philosophique est autre chose que ce que l'on tient pour tel, sans que l'on puisse finalement rendre intégralement compte de cette élection, de cette appréciation.
Notons qu'en ce qui concerne le moyen de s'assurer que les points de départ des discours sont solides, force est de reconnaître tous les philosophes ne sont pas d'accord, mais ils ne sont pour autant pas tous en désaccord. Qu'est-ce à dire ? Que les fractures, les conflits qui traversent et structurent toute l'histoire de la philosophie depuis ses origines sont presque tous relatifs à cette question. Si les philosophes ne sont pas tous d'accord entre eux sur la question, ils se partagent grossièrement en deux camps : d'un côté ceux qu'on appelle les empiristes (ou matérialistes ou sensualistes) de l'autre ceux qu'on appelle les idéalistes. Les premiers soutiennent qu'en dernière instance, ce sont nos perceptions qui décident de la vérité ou de la fausseté de points de départ d'un discours, les seconds soutiennent que ces points de départ sont des idées (principes, catégories, idées innées, Idée, ...) qu'on trouve en nous ou qu'on peut découvrir soit par intuition intellectuelle, soit par un effort de la réflexion, mais dont nous ne sommes pas les auteurs, les inventeurs.
Maintenant que la science et la philosophie sont distinguées par la manière avec laquelle l'une et l'autre parviennent à régler le problème posé par le passage de la validité formelle d'une discours à la vérité de ses conclusions, reste à se demander s'il y a lieu de les hiérarchiser et d'accorder à l'un ou l'autre de ces moyens, donc à l'une ou l'autre de ces discipline, une prééminence.
2 ) La science vaut-elle plus que la philosophie ?
Faut-il accorder à l'une d'elle plus de crédit, de valeur qu'à l'autre ? faut-il comme le pense souvent le sens commun se fier à la science et se méfier de la philosophie ?
En ce qui concerne la science, rien n'est plus imprudent que de penser qu'elle ne fait que dire la vérité et donc que l'expérimentation fournit un moyen sûr d'établir la vérité. C'est ce qu'enseigne l'histoire des sciences. En effet, dès lors qu'on comprend que l'histoire des sciences n'est pas l'histoire d'une accumulation progressive de connaissances, mais l'histoire de ruptures théoriques au cours desquelles de manière brutale une théorie nouvelle en supplante une autre, comme la physique de Einstein remplace celle de Newton, on comprend du même coup que la science ne progresse qu'en corrigeant des erreurs passées. Or, comme on ne peut pas soutenir que l'état actuel des sciences est définitif, qu'elle est arrivée au terme de son histoire, il faut donc convenir que parmi l'ensemble des connaissances scientifiques tenues aujourd'hui pour solides, il s'en trouve nécessairement qui seront réfutées demain, sans qu'on sache lesquelles. Aussi n'est-il pas prudent de penser que tous les discours scientifiques sont vrais parce qu'ils sont prononcés par des scientifiques sous le contrôle de l'expérimentation. Du reste, il n'y a plus guère que les non-scientifiques pour croire que la science détient la vérité. Depuis le début du siècle, les scientifiques sont guéris de l'illusion de croire que la science peut avoir réponse à tout et que ces réponses sont éternelles. (Illusion qu'on appelle le scientisme)
Qu'en est-il de la philosophie ? Le moyen dont elle se sert pour passer de la validité formelle à la vérité est-il sûr ? On ne le prétendra pas au vu des conflits qui traversent toute l'histoire de la philosophie. Mais, indépendamment de cette question des fondements, la philosophie semble aussi trouver une forme de justification, de légitimation de ses discours tout à fait originale, à savoir dans la puissance éclairante de ses discours.
3) La puissance éclairante du discours philosophique.
Ce qui fait peut-être la valeur du discours philosophique, ce n'est pas tant qu'il soit fondé, mais qu'il soit éclairant. A savoir : qu'il offre la possibilité de comprendre, d'analyser, de déplier, de situer les enjeux, de pointer les contradictions de telle ou telle chose ou activité. De passer ainsi du perçu, du senti vaguement au conçu, c'est-à-dire à l'expression conceptuelle de ce qu'on sentait sans vraiment y voir clair. En ce sens, elle éclaire : elle rend clair, grâce au concept ce qui était obscur et confus dans le pur senti.
Qu'il donne des concepts grâce auxquels il est possible de voir des choses qu'on ne voyait pas faute d'avoir les mots pour le dire. Cf. Début du cours sur l'opinion : elle ne voit que ce qui la confirme, c'est-à-dire qu'elle est certes souvent de mauvaise foi, mais elle est aussi aveugle faute d'avoir les mots qui permettent de dire ce qu'elle voit aussi. Or, tout ce qui n'a pas été nommé est comme inexistant pour nous. Aussi donner des mots, des concepts, c'est comme donner des yeux pour voir et comprendre.