La Démonstration
A. Preuve, Thèse, théorie et démonstration
Dans la démonstration on s’adresse à tous les esprits, en montrant la nécessité d’un passage : on descend de ce qui est certain, évident ou déjà démontré à ce qui peut en être déduit de manière rigoureuse.
La preuve : dans la preuve on s’attaque au doute d’une personne en s’efforçant de produire un fait qui mette fin à son doute .Le fait ici est une accumulation d’observations concordantes.
On montre la valeur d’une thèse en développant, dans un raisonnement bien construit, les arguments qui en donnent la justification rationnelle, c'est-à-dire les raisons qui la supportent. Une thèse n’est pas comme une idée claire et distincte, qui s’imposerait dans son évidence, de manière intuitive ; une thèse nécessite une argumentation.
Une thèse a besoin de montrer quelle est sa pertinence, et cela n’est possible que dans une démarche discursive. (qui repose sur le raisonnement).L’argumentation suppose toujours un raisonnement, une exposition logique.
Exemple : La thèse de Darwin selon laquelle l’évolution des espèces repose sur un processus de sélection naturelle du plus apte n’a rien d’évident. Au contraire, au titre d’une explication du phénomène vivant, elle ne constitue jamais qu’une hypothèse parmi d’autres et qui reste discutable. Il faut que Darwin déploie tout le dispositif argumentatif de L’origine des espèces pour parvenir à en montrer la valeur. Cela implique que soient explicités les principes adoptés par Darwin et que soit apporté une accumulation d’observations concordantes, - des preuves - pour produire une conviction rationnelle.
Dans les sciences, à partir du moment où une thèse reçoit une mise en forme rationnelle cohérente dans des principes, des hypothèses, des lois, elle est considérée comme une théorie.
On dit la théorie de l’évolution de Darwin. On dit la théorie de l’inconscient de Freud, , la théorie des climats de James Lovelock. On dit selon les thèses de Newton, de Darwin, de Freud, de Lovelock etc. on peut expliquer cet état de fait en disant que...
La thèse tend à montrer la pertinence d’une explication plausible (qui peut passer pour vrai) d’un phénomène. Dans le contexte qui est le nôtre, l’usage du terme « théorie » est devenue spécifique au domaine de l’approche objective de la connaissance. Il est d’usage de servir du seul mot « thèse » dans un sens plus large, pour désigner l’élaboration analytique conduite dans un système philosophique. On dit « les thèses de Marx concernant l’aliénation du travail », « les thèses de Spinoza sur la nature du désir », « les thèses de Bergson concernant la nature du temps » etc.
On peut se demander si la différence entre l’emploi du mot « théorie » dans le contexte des sciences et de celui de « thèse » en philosophie renvoie à une séparation réelle.
Théorie vient du grec théoria, qui implique vue de l’esprit. Il y a dans toute philosophie une théoria.
Ce qui est commun à une thèse et à une théorie, c’est qu’elles se présentent avec une argumentation qui exhibe les raisons qui fondent leur point de vue.
L’opposition réelle se situe entre ce qui est argumenté et ce qui ne l’est pas, entre ce qui n’a pas de justification et ce qui en reçoit.
On peut marquer une différence entre une simple opinion et une thèse. Une thèse est argumentée, une thèse n’existe pas sans un corps de propositions qui permettent de la justifier, tandis qu’une opinion, on l’a, sans trop savoir pourquoi. C’est du genre « moi je pense que » ! Et si on demande pourquoi ? Ce « moi » ne sait plus trop quoi répondre. Dans l’opinion, nous n’avons pas de justification sérieuse, notre savoir est surtout de l’ordre du ouï-dire et pas de l’ordre d’une justification rationnelle précise, ou d’une perception de la vérité que nous pourrions expliciter dans un discours convaincant.
Dans le processus des constructions de l’intellect, il n’y a pas à distinguer en quoi que ce soi une argumentation « scientifique » et une argumentation « philosophique ». Elles se rangent dans le même genre, celui d’un essai de construction intellectuelle rigoureuse, s’opposant à l’opinion en général. Il n’y aurait aucun sens à vouloir les distinguer, car ce genre de fragmentation serait purement illusoire. Il y a l’argumentation rationnelle et un point c’est tout.
Distinction argumentation/ démonstration : Mais alors quelle est donc la différence entre une argumentation et une démonstration ?
Selon le Dictionnaire Lalande, « une démonstration est une déduction destinée à prouver la vérité de sa conclusion en s’appuyant sur des prémisses reconnues ou admises comme vraies ». La démonstration a deux points d’appui fondamentaux : celui de la logique, celui de la consistance du système dans lequel elle se déroule.
Exemple :A l’intérieur du système de la géométrie d’Euclide, on peut démontrer que la somme des trois angles d’un triangle forment 180°, équivalent à deux droits. On dresse pour cela des parallèles aux côtés du triangle, on examine les équivalences des angles alterne/internes et on démontre qu’effectivement la proposition « les trois angles du triangle font deux droits » est nécessairement vraie. Dans un système où les axiomes sont différents, par exemple dans la construction de la géométrie convexe de Riemann, cette propriété ne sera plus vraie, les trois angles font moins que 180°. Comme le triangle dessiné sur un ballon a des angles plus aigus. Une démonstration se déroule donc sur un plan beaucoup plus abstrait qu’une argumentation. Une démonstration est formelle. Elle ne sort pas du contexte du système logique dans laquelle elle prend place. Elle peut être correcte ou incorrecte, mais seulement par rapport aux règles d’inférence du système qui la soutient. Le professeur de mathématique fait très bien la différence entre une démonstration correcte et une démonstration incorrecte. Il maîtrise en effet les règles d’inférence du système.
Dans la pratique, une démonstration prend dès lors souvent la forme d’un calcul, le calcul étant justement l’application d’une règle opératoire à l’intérieur d’un système. Pour ces différentes raisons, il est d’usage de rattacher l’usage rigoureux de la démonstration à la logique et aux mathématiques, tandis que l’on replacera l’argumentation dans l’ordre concret des faits, dans l’ordre de la vérité matérielle, les mathématiques demeurant sur le plan des idéalités, dans le champ de la vérité formelle.
Parce que dans la démonstration la puissance de la logique se trouve libérée de toute entrave, de toute référence avec la nécessité de consulter des faits pour savoir si ce que l’on dit est vrai, la démonstration emporte avec elle une force que n’a jamais l’argumentation. La démonstration fournit des preuves contraignantes, l’argumentation, elle, ne fait que préciser les raisons en faveur ou contre une thèse déterminée.
Dans la démonstration, l’esprit est obligé de plier, de s’incliner et il ne peut pas se dégager.
Ce qui est agaçant, car cela vaut pour tous les principes, des axiomes mathématiques, aux principes de la logique, jusqu’aux principes des systèmes les plus dogmatiques… y compris ceux des sceptiques !
La vertu de la démonstration, telle que la déploie un professeur de mathématique en cours, c’est d’habituer l’élève à une rigueur qui l’oblige à suivre le fil de la logique, de ne plus procéder par association d’idées. La démonstration est un modèle d’objectivité. La vertu de la démonstration est d’obliger l’esprit à s’émanciper de toute opinion ou vue trop subjective, au sens le plus vague du terme.
La contrainte logique de la démonstration nous oblige à abandonner nos opinions personnelles, nos vues fantaisistes, pour nous soumettre à un système et à sa la logique. La démonstration est une école de formation intellectuelle en ce sens. Elle nous apprend l’impartialité. Elle nous oblige à reconnaître la vérité comme ce qui est indépendant de nos opinions personnelles, comme ce qui est valide pour tout esprit rationnel. Mais attention, cela doit s’entendre dans un sens qui n’est pas intuitif, car tout processus de démonstration est discursif, c’est-à-dire repose sur le raisonnement. La démonstration nous demande de nous situer d’emblée sur le terrain d’un auditoire universel, celui de la communauté des esprits capables de reconnaître la validité d’un savoir objectif.
Le programme de l’approche objective de la connaissance de la science moderne a été d’emblée défini par le modèle de la démonstration mathématique. Le génie de Descartes et de Galilée est d’avoir mis en place une méthode dans laquelle l’univers est considéré comme un livre écrit en langage mathématique. C’est un programme très ambitieux, qui a conduit a des résultats immenses, mais qui sur le fond soulève une difficulté : est-il possible de soumettre la réalité dans son ensemble à un système unique et à l’arraisonnement de notre logique ?
La science moderne, avec Galilée et Descartes a effectivement cru qu’il serait possible de confondre la description du réel en langage mathématique avec le réel lui-même. Le mode d’exposition de la démonstration mathématique est devenu le paradigme d’une science achevée, si bien que l’on tentera de l’étendre à toutes les sciences. Descartes le montre très clairement dans le Discours de la méthode.
Le contenu des quatre règles de la méthode est immédiatement familier à un mathématicien.
• La première règle pose le principe de l’évidence dans la recherche de la vérité. Je ne dois me fier à l’égard des idées qu’à celles qui s’imposent à moi avec clarté et distinction. Ici, Descartes ne pense pas à l’évidence intuitive du je suis, ce qu’il a en vue, ce sont les natures simples des mathématiques, le nombre, le point, la ligne, comme concepts. Descartes admet que les objets mathématiques sont des idées claires et distinctes et qu’à ce titre, ils comportent une évidence .
• Dans la seconde règle, se rencontre le principe de la division d’un problème en parties.
• La troisième règle pose le principe de l’ordre des raisons qui commande de regarder tous les objets de la pensée comme reliés par une trame logique. La quatrième règle pose le principe du dénombrement pour éviter toute omission.
Le paragraphe qui suit l’énoncé de ces quatre règles montre à quel point la démonstration devrait, dans le programme de la science moderne, se décalquer sur toutes les formes de savoir humain. « Ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir, pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m’avaient donné occasion de m’imaginer que toutes les choses, qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes, s’entre-suivent en même façon ». Les deux seules conditions pour que l’approche objective de la connaissance soit étendue à la totalité du savoir, c’est que 1) que nous prémisses soient toujours assurées de leur vérité, 2) « et qu’on garde toujours l’ordre qu’il faut pour les déduire les une des autres ».
Descartes est préoccupé par l’édification d’un système du savoir et la science est un savoir en forme de système dont le modèle lui vient des mathématiques. Car, « entre tous ceux qui ont ci-devant recherché la vérité dans les sciences, il n’y a eu que les seuls mathématiciens qui ont pu trouver quelques démonstrations, c’est-à-dire quelques raisons certaines et évidentes ».
Dans l’idéal en effet, il serait souhaitable que l’esprit ne considère comme rationnelle que les démonstrations ayant recours à des idées claires et distinctes, aussi claires et distinctes que les notions mathématiques. La science devrait se constituer comme un système formel dans de longues chaînes de raisons semblables à celles dont les géomètres font usage dans leurs démonstrations. Le fil directeur de Descartes, c’est que la Nature est écrite en langage mathématique. Dans le droit sillage de Descartes, Spinoza dans l’Ethique fera une exposition géométrique de son système qui force encore l’admiration. Dans le même ordre, les célèbres Principia de Newton, isolés du reste de son œuvre, resteront pendant longtemps un modèle de rigueur et un modèle en tant que dérivé directement du modèle de la démonstration mathématique.
B. Démonstration et argumentation
Cependant, à y regarder de plus près, dans le Discours de la méthode Descartes a clairement conscience que si, dans la théorie, nous ne devrions ne nous fier qu’à la force de la démonstration et à l’évidence, cependant, dans la pratique, nous devons souvent nous contenter du probable, accepter l’incertain et tout de même raisonner.
Le modèle de la mathesis universalis est limité. C’est ce qui explique le ton, très différent des règles de la méthode, des maximes de la morale dite provisoire de Descartes. Dans le domaine de l’action, nous ne pouvons différer indéfiniment et nous ne exiger des évidences avant de décider. L’action juste exige le plus souvent une réponse rapide. S’il fallait se décider après démonstration des raisons d’agir, nous resterions cloués sur place la plupart du temps. Quand il y a un choix à opérer, il faut bien qu’il y ait délibération et délibération dans un ordre de pensée qui n’est pas évident et se situe dans l’opinion. Comme le voyageur perdu dans la forêt, autant ne pas tourner en rond et prendre une opinion droite, sensée à titre de guide. Ainsi, « lorsqu’il n’est pas en notre pouvoir de discerner les plus vraies opinions, nous devons suivre les plus probables ». Si la morale se passe de démonstration, il en est aussi de ce qui relève de la politique, des jugements du droit ou même de la religion. Il faut laisser une place à un ordre de discours qui relève plus d’une raison pratique que théorique. Or il y a un mode de raisonnement qui relève du domaine de la probabilité plus que de la certitude assurée, c’est celui de l’argumentation. Dans le champ de ce qui est seulement probable et incertain, nous ne pouvons que laborieusement construire, avec l’aide d’autrui, un accord des esprits avec le patient travail de l’argumentation.
L’argumentation n’est pas moins rationnelle que la démonstration. Elle ne se situe pas dans le même domaine de la pensée. Elle a sa place dans le champ de l’incertitude où se déploie la subjectivité. Dans la complexité concrète du réel, l’incertitude est grande, un système unique n’est pas de mise et il y a place pour des points de vue différents.
Disons que l’argumentation a sa place et sa valeur là où doit intervenir une délibération, quand rien ne s’impose avec nécessité et évidence.
La Démonstration : elle est le produit d’un acte mental qui a pour finalité d’établir la vérité d’une proposition en la déduisant de propositions antécédentes qui paraissent évidentes ou démontrées.
Le raisonnement déductif : fait circuler l’évidence d’un point de départ admis à une proposition dont on veut établir la vérité.
Le Problème du point de départ ou les limites de la démonstration
Si c’est un point de départ il ne peut être démontré car il n’y a rien avant lui dont on puisse le déduire (s’il y avait qq. chose ce ne serait pas le point de départ !)
(ex : postulats d’Euclide).
Le point de départ doit donc être évident. Mais l’évidence est toujours de l’ordre de la preuve et peut toujours être discutée ou contredite (ex : les géométries non euclidiennes).
Voilà pourquoi toute mathématique s’appuie sur une axiomatique, cad un ensemble de propositions qui doivent être admises dès le début : en douter reviendrait à jeter le doute sur toutes les déductions qui se déroulent à partir d’elles. On dira que les mathématiques sont hypo-déductives au point de ne plus parler que de validité et d’abandonner le terme de vérité.
Démontrer c’est donc établir par déduction, à partir d’une définition admise, que l’on doit nécessairement tenir pour valide.
Serait-il possible de partir de définitions établies et non pas simplement admises ?
Il faudrait que la définition résulte d’une enquête en produisant un résultat qui s’applique, s’ajuste parfaitement à toues les manifestations de l’objet que l’on cherche à définir.
Or ce n’est possible que lorsque l’objet a été engendré par une définition. Mais ici la définition vient après l’objet.
Dans ce cas l’enquête serait infinie et la définition trjrs ouverte et à l’infini.
Limites de la démonstration : en un sens la démonstration ne démontre rien de plus que ce qui a été d’abord admis dans les prémisses ou point de départ.
Parce que le point de départ de la démonstration s’appuie sur l’évidence, en mathématique on consent par volonté ou adhésion à un point de départ plus que par science certaine.
Toute vérité sera donc nécessairement hypothético-déductive .