dimanche 13 mai 2007

COURS STT La Justice

La justice
Table des matières
1 Ordre et égalité
2 La justice en l'homme
3 La justice dans la société
4 La justice selon la nature
5 Égalité et inégalité
Introduction
La justice se présente à nous sous deux aspects essentiels, un aspect moral et individuel, c'est cette acception que l'on utilise lorsque l'on parle d'un homme juste, mais aussi un aspect social, juridique et politique, c'est pourquoi l'on parlera d'une société juste.
Se pose d'ailleurs la question de savoir quel rapport il y a entre la justice des hommes et celles des institutions qui sont au fondement du corps social et de l'état. En effet si tous les hommes étaient spontanément justes, faudrait-il des institutions aussi complexes que les nôtres pour que la société fonctionne ?
S'il est nécessaire de faire régner la justice dans la société au moyen d'institutions (lois, autorité, état), c'est bien parce que les hommes ne sont pas naturellement justes, qu'ils ont parfois tendance à s'écarter de la voie qui convient. Cela dit, une société juste ne peut se contenter d'institutions justes, il faut aussi des hommes justes, ou qui tentent de l'être pour que celles-ci fonctionnent de manière satisfaisante.
1 Ordre et égalité
La question de la justice trouve sa complexité dans le fait qu'historiquement, elle se pose selon deux optiques qui peuvent tout d'abord apparaître comme très éloignées l'une de l'autre, même si au bout du compte elles peuvent être perçues comme complémentaires.
La justice si l'on se situe dans une approche de type platonicien se réfère essentiellement à la notion d'ordre, un homme juste, une cité juste sont conformes à l'ordre naturel des choses et sont donc en mesure d'établir un équilibre entre tous les éléments qui les composent.
En revanche si l'on se situe dans une optique aristotélicienne, la justice se conçoit plus en terme d'égalité, mais cette égalité n'est pas arithmétique, elle se définit différemment en fonction de ce à quoi elle s'applique.
2 La justice en l'homme
Si l'on se fonde sur la conception platonicienne de la justice comme ordre, la justice se manifeste tout d'abord en l'homme par l'équilibre de l'âme, en effet il existe selon Platon trois formes de l'âme (raisonnante, ardente et désirante) et à ces trois formes correspondent trois vertus (sagesse, courage, modération ou tempérance), l'homme juste est donc celui qui écoutant sa raison agit toujours avec courage en faisant preuve de modération, au contraire l'homme injuste se laisse emporter par ses passions et agit de manière lâche ou impétueuse, il devient donc pour cela nuisible à lui-même et à autrui.
Mais sommes nous en mesure d'être juste indépendamment de la contrainte sociale ? Quel homme en effet pourrait prétendre ne pas résister à la tentation si comme Gyges dans la république, il disposait d'un anneau pouvant le rendre invisible ?
C'est pourquoi il y a, semble-t-il, une relation de dépendance réciproque entre la justice en l'individu et la justice dans la société, pas de société juste sans au moins quelques hommes justes pour la diriger et pas d'hommes justes sans des institutions justes incitant les hommes à bien se comporter.
Sur quelles principes doit donc se fonder une société juste ?
3 La justice dans la société
Qu'est-ce qu'une société juste ? C'est tout d'abord une société dans laquelle chacun fait ce qu'il doit faire et reçoit ce qui lui est dû, et en cela la justice se rapproche également de la justesse, faire correspondre avec exactitude le mérite et sa traduction concrète. C'est pourquoi les notions d'ordre et d'égalité sont finalement complémentaire pour comprendre le sens de la notion de justice.
Le problème étant de savoir en fonction de quel critère il est possible de déterminer ce que chacun doit à tous et ce que tous doivent à chacun.
Si nous nous laissons tenter par la facilité nous avons tendance à penser que la solution se situerait dans l'égalité et qu'il suffirait de faire en sorte que chacun bénéficie des mêmes avantages et des mêmes obligations pour que l'ordre règne et que personne ne se sente lésé. Mais n'est-ce pas là une manière simpliste et utopique de sortir de la difficulté, car nous voyons bien que rapidement les contestations verraient le jour.
Tel qui effectue un travail pénible ne comprendrait pas que sa rétribution soit la même que celle de celui qui accomplit chaque jour un tâche sinon agréable, du moins plus supportable, tel autre ne comprendrait pas que la sanction pour un crime ou un délit soit la même pour celui qui a des circonstances atténuantes et pour celui qui n'en a aucune, ou encore celui dont les besoins sont supérieurs à un autre (parce qu'il est responsable d'une famille nombreuse par exemple) ressentirait comme légitime d'être rémunéré de manière plus conséquente que celui qui n'a en charge que sa seule et unique personne.
Si l'égalité semble devoir être la règle en matière de droit et de devoir, elle ne semble pas être en mesure de valoir comme principe de répartition de tous les avantages de la vie en société, il ne faut pas en effet confondre l'égalité et l'équité, une stricte égalité n'étant pas toujours équitable.
4 La justice selon la nature
Fonder l'organisation sociale sur la nature pourrait peut-être permettre de régler cette question, la justice consisterait à donner chacun en fonction de ses compétences naturelles, ce qui est au fondement d'une certaine forme d'aristocratie qui voit la justice dans la domination des plus forts par les plus faibles. Cette thèse qui est celle de Calliclès1 est cependant elle aussi une fausse solution car elle conduit au règne de la violence généralisée, à une situation dans laquelle les termes même de justice et d'injustice n'ont plus guère de sens, puisque finalement les faits sont toujours conformes au droit, toute situation est donc juste et il est donc absurde de crier à l'injustice pour quelque sujet que ce soit.
Cependant la thèse aristocratique ne se résume pas nécessairement à la domination du fort sur le faible, elle peut aussi se comprendre dans un autre sens comme le gouvernement des meilleurs se mettant au service du plus grand nombre. C'est en quelque sorte ce principe qui fonde la thèse platonicienne du philosophe-roi qui doit mettre ses compétences de naturel-philosophe au service de la cité et exercer le pouvoir non par goût, mais par devoir. Cependant Platon voit lui-même les limites de cette thèses dans le Livre VIII de La République lorsqu'il explique qu'une telle forme de gouvernement, si elle était un jour instaurée, ne tarderait pas à dégénérer en oligarchie, c'est-à-dire en domination des plus riches sur les plus pauvres qu'eux.
Il convient donc d'établir avec justesse les critères d'un réelle justice distributive au sens où l'entend Aristote qui distingue trois formes de justice :
La justice commutative qui concerne les échanges, un objet doit toujours être échangé contre un autre de valeur équivalente.
La justice distributive qui consiste dans la juste répartition des honneurs et des récompenses en fonction des personnes : le salaire évalué en fonction du travail fourni, de sa durée, de sa pénibilité, mais aussi en fonction des besoins du travailleur et des compétences qu'il doit mettre en jeu par exemple.
La justice répressive qui consiste en cas de transgression de la loi à appliquer une sanction proportionnelle au délit.
A la justice commutative correspond la stricte égalité, au deux autres la proportionnalité.
Mais c'est précisément dans le calcul de cette proportionnalité que se situe alors le problème, car si l'inégalité n'est pas nécessairement synonyme d'injustice, la question est alors de savoir en fonction de quel principe une inégalité peut être considérée comme juste ou injuste.
5 Égalité et inégalité
Fonder l'ordre social sur la nature, nous l'avons vu, conduirait très vite à la pire injustice et finalement à un réel désordre puisque rapidement la force brutale l'emporterait et instaurerait le règne de la violence généralisée, mais vouloir instaurer une égalité artificiellement par la loi conduirait comme le pense l'économiste Hayek2 à limiter la liberté pour forcer la réalité à correspondre à un idéal qui ne convient peut-être pas à la nature des hommes.
Précisément, sur le plan économique la plupart des libéraux considèrent qu'il y a en quelque sorte une équivalence entre justice et justesse et que la juste répartition des choses ainsi que leur juste prix s'établit spontanément selon la loi de l'offre et de la demande, si un juste équilibre s'établit entre ce deux termes la justice s'établit d'elle-même.
Cependant on peut s'interroger sur les limites de cette conception sur le plan social. Ainsi si l'on considère que la force de travail que le salarié vend à son employeur est évaluée conformément à cette loi, il semble extrêmement difficile de garantir à chacun une certaine sécurité en matière de revenu, ce qui explique l'instauration dans de nombreuses sociétés se réclamant pourtant du capitalisme et du libéralisme économique d'un salaire minimum et d'une assurance chômage offrant à tout salarié les moyens d'agir en conséquence lorsque la situation économique ne lui est plus favorable et de pouvoir continuer à consommer ce qui est indispensable au bon fonctionnement du système comme l'a fortement souligné l'économiste Keynes.
En matière de justice sociale, la question de l'inégalité ne doit donc pas se poser en terme de condamnation aveugle de celle-ci ; au nom d'une égalité chimérique, mais il s'agit de savoir en fonction de quoi une inégalité peut être considérée comme juste ou injuste.
Selon le philosophe américain John Rawls qui publia en 1971 un ouvrage intitulé Théorie de la justice une inégalité est juste si elle bénéficie aux plus désavantagés et qu'elle respecte l'égalité des chances.
Ainsi celui qui s'enrichit par son travail en créant une entreprise qui sera génératrice d'emploi et de richesses, bénéficiera d'une situation favorisée dans la société, mais qui ne sera en rien illégitime dans la mesure où ce qui en est l'origine bénéficie à tous. En revanche si cet entrepreneur ne respecte pas le travail de ses salariés et profite de la crise de l'emploi pour les exploiter sa position sera condamnable du point de vue de la justice.
Conclusion
La justice ne peut donc se réduire à une égalité purement arithmétique, comme l'avait déjà souligné Aristote, la justice tolère l'inégalité, à la condition que la répartition des biens et des honneurs à l'intérieur de la société se fasse équitablement en profitant à l'ensemble de la société, des plus démunis jusqu'aux plus riches.
Ce qui est juste, c'est finalement ce qui se justifie, c'est pourquoi ordre et équité se complètent, une société dont la structure ne serait pas fondée en raison ne saurait être considérée comme une société ordonnée.